Allez, un petit #VendrediHistoire même si je sais que le hashtag n’existe pas. Qui raconte donc une fin de stage commando un peu épique. Avec des gifs rigolos, si je les trouve.
(ne cherchez pas de vraie morale à la fin, j’ai juste envie de raconter une histoire rigolote)(enfin moi je la trouve rigolote)(bref)
L'histoire se passe en 2002, un âge plus tellement innocent mais encore un poil simple. Nous sommes en juin, et je suis un jeune élève-officier plein d'entrain. On est dans la même section pour le stage commando avec @Brice_Erbland.
A cette époque donc, on allait passer le stage moniteur commando en fin de première année, à Saint Cyr. C’était le monument de la formation militaire, notre Everest à nous. Le truc dur. Craint.
(Je précise que c’est un stage d’aguerrissement qui n’a pas pour but de former des vrais commandos : l’aguerrissement, dans l’armée, en deux mots, c’est la rédemption par l’épuisement et la souffrance)
(on partait donc passer quatre semaines à se faire mal, dans les Pyrénées, et éventuellement apprendre 2-3 trucs utiles en passant, enfin, pour ceux qui étaient encore éveillés à 3h du matin en rentrant de marche)
Les mythos diront le contraire, mais on était tous très intimidés, parce que c’est le stage de la légende, le 2e niveau commando, le truc dont on parlait entre nous pour se faire peur, plus encore que la Guyane.
Avec de vrais moments et lieux mythiques, comme la célèbre piste verte, à Collioure (voir la vidéo ci-dessous), la piste rouge de Montlouis et sa gouttière, la vallée des Castors, bref, toute une histoire de mal aux genoux et de traits tirés.
Et le stage se termine par un raid. La dernière semaine. Juste avant la remise des brevets. Un truc bien bourrin où on part s’infiltrer pour libérer un otage, ou faire sauter un pont, bref, un truc de commando comme dans les films et tout et tout.
(le gif ci-dessus témoigne du fait que j'étais bien en forme à l'époque. Oui oui c'est une vidéo tirée de mes archives personnelles, cherchez pas)
Pour vous situer, un raid, c’est s’infiltrer toute la nuit vers un objectif, passer toute la journée à l’observer et à préparer le coup de main, faire le truc qu’on nous a demandé de faire, et passer toute la nuit à s’exfiltrer #vacances.
Je ne sais pas si c’est ce que font les forces spéciales en vrai. Mais nous on nous demandait de faire ça. Pédagogique, on restitue les trucs appris pendant le stage comme escalader des trucs et traverser d'autres trucs en portant des trucs. Vous voyez le genre.
Un bon élève-officier se doit de solliciter la sagesse infinie de ses anciens avant de partir sur une épreuve. En la matière, pour le raid, outre les descriptions vagues regard dans le vide pour nous faire flipper, ils étaient unanimes :
« Le raid c’est facile parce que tu peux dormir la journée. Faut juste finir. Et prends pas de duvet, ça sert à rien, faut être léger. Tu verras, c’est cool. Et puis c’est fini. Faut juste finir, quoi. »
Nous : *opinons du chef gravement.*
Bon, c'est la fin du stage, les épreuves techniques sont passées, tous ceux qui sont encore là n'ont plus que le raid à finir pour obtenir le graal de la crédibilité pour un jeune élève-officier: le brevet moniteur commando, celui avec lequel on peut SERRER DES MEUFS (je crois).
Donc on part le lundi soir, avec des sacs étrangement légers, pour s’infiltrer dans la montagne pyrénéenne. On marche toute la nuit en essayant d’éviter le plastron (et surtout, les chiens du plastron)(sage, Kiki).
On arrive devant une ferme à l’aube. Notre otage est dedans. Donc on se pose, on observe, on prépare le truc. Qui va faire quoi. On dort un peu entre deux aussi. Et moi, on m’affecte à la fonction essentielle de "jalon".
Le jalon, c’est le mec qui doit permettre au commando, son forfait accompli, de repartir plus vite que Gérard Lambert. Un mec tous les 500 mètres sur 3-4 kilomètres pour guider la section au plus vite vers sa zone d’exfiltration.
Histoire d’éviter qu’avant l’arrivée des renforts ennemis, on s’arrête tous les 200 mètres en se demandant si c’est par là, ou par là qu’il faut aller.
Me voilà donc posé sous un arbre, sans radio, sans rien, à attendre la nuit.
En bon COMMANDO, je reconnais et balise mes 500 mètres de chemin jusqu’au jalon suivant, 2 fois. Pour être sûr. S’agit de pas perdre les 40 copains dans la montagne, ils le prendraient mal. Puis, satisfait, je m’endors sous mon arbre.
Quand je me réveille, un peu avant 20h, une heure avant le déclenchement prévu du truc, j’ai l’impression d’être dans le Mordor. Ciel noir, œil de Sauron, musique dramatique, et tout et tout. J’attends.
L’orage pète. Une belle tempête de montagne des familles, grêle, éclairs, le pack sport.
Tout seul sous mon arbre, j’essaie de fumer des clopes en me disant que j’ai peur de rien et que j’suis un dingue. Mais j’aimerais bien qu’ils arrivent les copains quand même.
Quand je vois enfin arriver la colonne de la section, je comprends qu’il se passe un truc. Déjà, parce qu’il y a des lampes partout et que ça fait pas très commando. On m’annonce que l’exercice est suspendu à cause de l’orage.
J'apprendrai plus tard que les instructeurs ont fait poser les flingues, radios, et tout ce qui était métallique et pointu avant d'abriter la section sous un bosquet. *extremely instructeur commando voice with the accent du sud-ouest* "la sécurité avang tout"
Le temps qu’on récupère les autres jalons, qu’on retrouve un bout de route et que les camions nous ramènent à la Citadelle, il est 2h du matin et on est tous trempés. Mais il ne pleut plus : ça tombe bien on repart dans 4h.
Donc on se vraque dans le gymnase et on essaie de faire sécher nos chaussettes. Et le lendemain matin, on repart sous une mauvaise bruine (rappel : on est début juin). Vers un bout de forêt avec un refuge au milieu.
Ce jour-là, on était censé souffler avant de repartir pour la suite (et fin) du raid. Donc on souffle façon commando : les instructeurs nous filent des poulets vivants pour manger, et nous souhaitent un bon appétit avant d’aller s’enfermer dans le chalet.
(Ma gratitude éternelle à mes camarades de promo qui savaient faire) On égorge, vide, cuit, et se partage les poulets en essayant de faire tenir le feu sous la pluie. Super moment camping, fraternité d'armes tout ça tout ça.
Et vers 14h, les instructeurs repartent. Magnanimes, ils laissent le chalet ouvert en nous donnant rendez-vous à 20h pour débuter notre infiltration vers l’objectif suivant. On fonce s’entasser dans les 20 mètres carrés, au sec.
Parce qu'il y a un truc qu'on a retenu du stage: quand on a deux minutes, faut dormir avant que l'instructeur ne change d'avis et décide de nous emmener faire des galipettes dans les flaques.
Du coup on roupille.
Un mec à la radio, trente qui ronflent. COMMANDO j’vous dis !
On s’ébroue collectivement vers 19h, toujours trempés mais un peu moins nazes, pour se préparer à repartir. Reste 36h à tenir, on va y arriver. Et là, un comique passe sa tête par la fenêtre (je rappelle qu’on est début juin).
"Les gars, y neige."
Collectivement : "ouais, et ta sœur", et autres courtoisies.
"Ben si, y neige j’vous dis."
Et, surprise, il neige.
Et depuis un moment : y a pas loin de 15 centimètres au sol.
Dans ces situations, il y a plusieurs catégories de personnes : celui qui n’a pas pris d’effets chauds, celui qui n’a pas pris de duvet, celui qui n’a pas pris de chaussettes de rechange, celui qui n’a rien pris de tout ça.
Et plusieurs types de réactions : déni, rire hystérique, prostration, négociation, acceptation et je me souviens plus de toutes les phases du deuil mais on fait quand même un peu la gueule en moyenne.
Mais on est des commandos, merde, et puis on a pas vraiment le choix, donc on repart, vaillamment, de la neige jusqu’aux genoux, pour aller faire sauter une antenne radio ou je sais plus trop quoi.
En oubliant qu’on a froid, faim, mal, nul, et pas demandé à venir au monde. L’aguerrissement, quoi, mais avec l’odeur de l’écurie et du brevet commando au bout. Ça se passe plutôt bien d'ailleurs, on fait le job et on s’exfiltre.
Epilogue complètement décevant:
L’œil gourmand, nos instructeurs nous annoncent à la fin de la marche d'exfiltration qu’on va être récupérés en hélicoptère. Récompense ultime de fin de stage. Joie. Mais s’agit de faire ça comme des commandos hein.
Donc on va se mettre face à une clairière, en bord de lisière, sur deux colonnes, un genou en terre, comme des vrais. Et on attend. Longtemps. Il est 6h du matin et il fait presque jour. On a marché toute la nuit.
Et là, rien.
De temps en temps, l’un des instructeurs passe la tête par la bâche de la P4 (chauffée) pour nous dire de pas bouger et de bien fermer nos gueules surtout.
On s’énerve un peu, surtout qu’il repleut et qu’on se les gèle.
Au bout de 2h, la brume ne s’est toujours pas levée. Et elle ne se lèvera pas. L’instructeur vient nous dire qu’on va prendre un camion pour aller attendre les hélicos plus haut. MAIS.
Pour pas que ce soit trop facile (COMMANDO !) on va devoir rattraper les camions qui partent à 5 km/h devant nous. La rédemption par la souffrance je vous dis.
La scène suivante est digne de Platoon si Platoon était une comédie. C’est la fin, on est tous en vrac, les sangles de sac à dos pètent, les genoux sautent, les mecs tombent, jurent, crachent. Epique.
On court pendant peut-être 500 mètres et PERSONNE n’arrive à rattraper ce foutu camion.
En revanche, y a des mecs en vrac semés comme des cailloux le long de la route. Magnanime, l’instructeur finit par nous arrêter.
On monte dans le camion et on sort de la cuvette. D’un seul coup, grand soleil, les hélicos nous attendent. On embarque. Et en cinq minutes de vol gracieux, on vient atterrir à la citadelle. C’est terminé.
J’affirme que TOUT LE MONDE a voulu être pilote de l’ALAT à ce moment précis. Même @Brice_Erbland qui ne jurait pourtant que par l’infanterie à cette époque. Moi, j’aurais signé à l’atterrissage si j’avais pu.
Bref, remise de brevet.
Razzia sur le buffet qui célèbre notre entrée dans la grande famille des pas commandos mais des mecs qui ont réussi le stage quand même, émotion tout ça. S’ensuit le retour, 14h de bus dont je n’ai personnellement aucun souvenir.
Et quelques leçons de vie dont vous vous foutez mais faut bien conclure sur une morale sinon je trahis mon lectorat. Je vous préviens, elle est moisie.
Ecouter les anciens, c’est bien, écouter les instructeurs, c’est mieux. Notamment quand ils disent : "PRENEZ UN DUVET", c'est pas bête de prendre un duvet.
On apprend pas à devenir un commando en stage commando. En revanche, on apprend à se faire vraiment mal, à faire confiance aux copains, et à identifier ses limites. A les dépasser aussi.
On apprend une leçon de vie durable et éternelle : si ça peut merder, ça va merder.
On apprend enfin cette perle de sagesse populaire : c’est souvent les moments les plus nuls qui laissent les meilleurs souvenirs. Bon weekend !
Mitch, out.
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À chaque fois que je commence un bouquin comme « The Fighters » de @cjchivers je me demande pourquoi je continue à m’infliger autant de lectures sur les guerres post 11 septembre.
Et à chaque fois que je finis, je me dis que j’ai bien fait de le lire, même s’il serait grand temps de passer à autre chose.
Bref, The Fighters est un grand livre, que je vous recommande si vous êtes à l’aise en anglais et que vous avez le cœur bien accroché.
C’est un grand livre par son ampleur. En suivant une dizaine de personnes pendant quinze ans, on touche à ce dont on parle peu: l’usure du temps sur les gens qui ont participé à ces missions.
Demain, vos soldats défileront sur les Champs Elysées, et c’est quand même un moment rare et précieux dans une vie de militaire. Je vous raconte un peu.
(je sais que vous avez tous déjà vu douze reportages et lu trente articles sur les coulisses du défilé, vous énervez pas, c’est un classique, on va essayer de varianter un peu)(tiens, mon correcteur ne connaît pas « varianter »)
J’ai défilé deux fois sur les Champs. Une fois avec St Cyr, il y aura 14 ans demain *shudders*, et une fois en AMX10P, avec le @1_rtir, il y aura (OH GOD) 10 ans demain. Tout cela ne nous rajeunit pas, ma bonne dame.
Le 3 juillet 1863 s’achevait la bataille de Gettysburg dans le fracas tragique de la charge de Pickett. (thread)
Le général Lee, commandant de l’armée de Virginie du Nord, était certain qu’il pouvait l’emporter. S’il battait l’armée de l’Union, plus grand chose ne s’opposerait à une négociation de paix pour obtenir l’indépendance du Sud.
En face de lui, Meade, nommé quelques jours plus tôt à la tête de l’armée du Potomac, commandait des Unionistes allant de défaite en défaite, avait juste eu de la chance pendant les deux premiers jours.
Il devait rompre. C’était écrit.
C'est bon, le match est fini, et vous allez tous aller écouter des groupes de qualité diverse à la fête de la musique.
Alignement de planètes: je vais vous parler d'un truc un peu chiant qui intéressera peut-être 10 personnes ici, mais tant pis.
Alors, pour changer un peu, aujourd’hui on va parler de l’ennemi.
* Musique dramatique*
De l’ennemi en tant qu’objet de réflexion tactique militaire.
*La musique dramatique s’interrompt brusquement*
Eh oui.
Pourquoi c’est important, l’ennemi ? Parce que c’est le cœur de tout le système de pensée, et donc de planification, des militaires. C’est le point central de la conception d’une manœuvre et de l’accomplissement d’une mission.
Ce matin, j'ai appris le décès de mon vieux maître d'école après un long combat contre la maladie.
Vous savez, ce genre de prof - ou de chef, ou d'ami - qui vous fait comprendre un truc qui, rétrospectivement, change votre vie? C'était lui. Je vous raconte vite fait.
J'étais en CE2, début des années 90. Gosse de 8 ans, bavard déjà, turbulent sans doute, comme il y en a plein. Plein. Lui, c'était mon instituteur.
En classe, quand on avait fini nos exercices, il nous faisait écrire plutôt que d'embêter nos voisins, ce que je faisais souvent
On avait une boîte en carton au fond de la salle, et il nous faisait écrire des poème, je me rappelle. Le jeu de la rime, la construction d'un moment, des trucs simples, juste pour jouer avec les mots et les accorder ensemble.
On allait mettre nos petits papiers dans la boîte.
Aujourd’hui, c’est le début du ramadan, et ça me rappelle quelques souvenirs tirés du casque en Afghanistan, en 2012. On va donc en parler un peu, même si je sais déjà que je suis littéralement en train de jouer de la flûte à trolls. Thread.
Pour ceux qui n’ont pas encore lu Jonquille (disponible dans une librairie près de chez vous), c’était un sujet que j’aurais bien voulu inclure dans le bouquin, mais qui ne fonctionnait pas vraiment. Prenez donc ça comme une scène coupée.
Spoiler alert : y a rien à spoiler. N’attendez pas de rebondissements spectaculaires ou de révélations fracassantes. Ni même de morale inspirante façon discours de fin d’un film américain. Enfin, on verra. Je change souvent d’avis.