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Jun 21, 2018 42 tweets 8 min read Read on X
C'est bon, le match est fini, et vous allez tous aller écouter des groupes de qualité diverse à la fête de la musique.
Alignement de planètes: je vais vous parler d'un truc un peu chiant qui intéressera peut-être 10 personnes ici, mais tant pis.
Alors, pour changer un peu, aujourd’hui on va parler de l’ennemi.
* Musique dramatique*
De l’ennemi en tant qu’objet de réflexion tactique militaire.
*La musique dramatique s’interrompt brusquement*
Eh oui.
Pourquoi c’est important, l’ennemi ? Parce que c’est le cœur de tout le système de pensée, et donc de planification, des militaires. C’est le point central de la conception d’une manœuvre et de l’accomplissement d’une mission.
Et tout ça part d’un objet essentiellement intellectuel, une construction mentale du chef pour l’aider à prendre une décision. Ce qui le rend difficile à comprendre pour les non-initiés. Donc on va vulgariser un peu.
(En fin de thread, je donnerai quelques sources pour ceux qui veulent approfondir le sujet. Je ne suis pas ceinture noire d’ennemi, mais j’ai quelques lectures qui peuvent éclairer).
Les bases, pour commencer. Comprendre les militaires, c’est comprendre que tout est construit autour de la mission que l’on reçoit. Que ce soit en France, à l’étranger, à l’entraînement ou en OPEX.
La mission, pour un militaire Français, se compose de la lettre (ce que je dois faire) et de l’esprit (ce que mon chef veut accomplir). Sans rentrer dans les détails, elle fixe un cadre et un objectif sans s’étendre sur l’exécution.
Quand on reçoit une mission, on étudie donc un certain nombre de choses : quel objectif, quelle intention du chef, sur quel terrain, dans quels délais… Pour arriver ensuite à la question qui tue : contre qui ?
C’est là que l’on retrouve notre pote l’ennemi. Enfin, notre pote, pas vraiment. L’ennemi, c’est toujours une nature (des chars ? Des insurgés ?), un volume (sont-ils 30, 300, 3000 ?), une attitude (ils attaquent ? Ils défendent ?).
Et c’est aussi un objectif : l’ennemi a sa mission, qu’il va tâcher de remplir contre nous. C’est là que les vieux choufs disent qu’il faut « retourner la carte » pour se mettre dans les baskets de l’ennemi.
Vous vous souvenez de la phrase de Desproges : « l’ennemi est bête, il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui ». Eh bien, très sérieusement, il avait raison. Il faut se mettre dans ses pompes. Desproges, penseur tacticien méconnu #sisi
Si j’étais l’ennemi, que j’avais une dizaine d’insurgés pour tendre une embuscade contre les Français, par exemple, je ferais comment ? Je me mettrais où ? Je taperais qui ? Je partirais par où, une fois mon forfait accompli ?
De cette analyse, on tire deux scénarios possibles : soit il va faire ça (une attaque en force, par exemple), soit ça (une attaque en souplesse, un truc un peu plus « sioux »). Pourquoi on fait ça ?
Il ne s’agit pas de jouer les voyantes. On fait ça parce que c’est important de décrire ce que pourrait faire l’ennemi, pas pour se rassurer, mais parce qu’on en a besoin pour prendre une décision sur ce qu’on va faire, nous.
En deux mots : on décrit l’ennemi, on réfléchit à ce qu’il fait, veut faire, peut faire, a déjà fait si on le connaît un peu. C’est du boulot. Mais on met toujours l’ennemi au centre de la réflexion – peu importe à quoi il ressemble d'ailleurs.
Evidemment, ses capacités comptent. On ne construit pas une manœuvre identique selon qu’on s’oppose à des mecs en claquettes avec des AK47 ou un bataillon de chars modernes. Selon que c'est une armée régulière ou une bande d'insurgés à mi-temps.
Mais on fait toujours ça sérieusement : un bon officier renseignement, c’est celui qui peut parler de l’ennemi pendant des heures et des heures (donc un mec chiant, hein). C’est parfois un peu artificiel, à l’entraînement, mais c’est une bonne école de réflexion.
Bref, analyser l’ennemi et le raisonner pour construire sa manœuvre contre lui, c’est un apprentissage long et souvent difficile.
Mais nécessaire. Le jour où on se retrouve face à un vrai ennemi, vaut mieux être un peu sûr de sa réflexion. Evidemment.
Interlude : je concède qu’il y a un prisme très « terrien » dans mon obsession de l’ennemi. Nos amis aviateurs, culturellement, voient les choses un peu différemment. A cause du milieu dans lequel ils évoluent et combattent.
En combat aérien, les différences technologiques tendent à être plus déterminantes qu’au sol. Evidemment. Un Mig 15 serait détruit bien avant même de commencer à comprendre qu’il y a un Rafale en face de lui, par exemple.
Au sol, les différences sont moins flagrantes. Voir à ce sujet : Afghanistan, Mali, etc. Ce n’est pas un hasard si les plus techno-enthousiastes sont souvent issus des forces aériennes. C’est même plutôt compréhensible.
Pause gif rigolo qui n'a rien à voir, pour ceux qui ne sont pas encore morts d'ennui ou de consternation:
Maintenant, comment font les Américains ? Eh bien, différemment (sans blague). Disons que l’ennemi, dans leur méthode, est analysé comme un autre paramètre. Ils sont là, ils font ça, ils sont tant, mais on ne pousse pas beaucoup plus loin.
Nous, quand on s’entraîne, généralement, on fait des demandes au chef - est-ce qu’on pourrait avoir des hélicos ? Des moyens en plus ? – et généralement ces demandes sont toujours refusées, par pédagogie.
(D’ailleurs, on nous apprend bien à ne pas concevoir une manœuvre en se basant sur des demandes de moyens qu’on n’est pas sûr d’obtenir. On gère la pénurie, élément fondateur du génie français)
Les Américains, pas vraiment : s'ils sont un peu juste en termes de rapport de force, ils rajoutent de la puissance de feu.
Leur système de planification est d'ailleurs parfait pour combiner des effets, mais pas vraiment conçu pour réfléchir en profondeur autour de l'ennemi.
Enfin, ne caricaturons pas : disons que leur approche ne vise pas tant à contraindre l’ennemi à manœuvrer à son désavantage, plutôt à masser de la puissance locale contre lui. C’est une approche plus industrielle.
C’est aussi une approche qui fonctionne mieux avec de grandes unités. Plus on descend dans la hiérarchie, plus la différence technologique s’amenuise. Une division contre 30 insurgés ? Facile.
Une section, 30 mecs, contre ces 30 mêmes insurgés ? Moins évident. Parce qu’à un moment, au combat comme en amour, il faut bien finir par se voir de près, comme a dit ce mec sans doute génial que j’ai oublié.
C’est un peu le match de l’ingénieur contre le philosophe, pour faire court. C’est entre mille autre choses l’une de nos différences les plus fondatrices, parce qu’elle en dit long sur nos systèmes de pensée respectifs.
Maintenant, on voit réapparaître les tenants du changement de la nature de la guerre par la technologie. Une sorte de RMA revue et corrigée avec des ordinateurs et des réseaux plus puissants pour ceux qui connaissent.
Je ne suis pas prêt à parier un bras que les nouvelles technologies ne changeront pas la nature fondamentale de la guerre, en passant.
Il se passe vraiment des trucs dingues en technologie, et les concepts étudiés en ce moment vont bien plus loin qu’avant.
Mais en revanche, ce dont je suis sûr, pour reprendre mon instructeur d’histoire militaire (Américain), c’est que « the enemy gets a vote » dans tous les cas.
D’où l’importance de continuer à le mettre au cœur de la réflexion.
Le jour où on considère l’ennemi comme un paramètre, un vague encombrement dont on peut s’affranchir comme les autres (terrain difficile ? On contourne ! Délais contraints ? Héliportage !), on prend un risque.
Les Américains sont d’excellents soldats. Mais ils peuvent aussi se tromper dans les grandes largeurs par une mauvaise analyse de leur ennemi. Nous aussi, mais nous sommes moins omniprésents dans les affaires du monde.
Si les nouvelles technologies permettent de réduire l’ennemi à une donnée parmi d’autres au niveau opératif ou stratégique, fort bien. Mais il n’en sera jamais de même pour le caporal, là, le petit avec sa mitrailleuse. Pour la section de tête qui rentre dans le village.
Et c’est important de s’en souvenir quand on parle des capacités du futur. Il y aura toujours du monde en bas de l’échelle. Toujours des mecs qui prendront des risques, même suréquipés et surentraînés.
C’est pour eux que l’on doit respecter cet ennemi, même si c’est une ordure.
Si vous voulez en savoir plus : je recommande l’excellent @Michel_Goya dont le blog est une source inépuisable de trucs très cools sur le facteur humain au combat. Ses livres sont très bien aussi. Je vous détaille pas, vous irez chercher vous-mêmes. #responsabilisation
« La Technologie Militaire en Question » de @Joseph_Henrotin m’a traumatisé quand je préparais le concours de l’Ecole de Guerre, mais c’est une mine sur les questions technologiques américaines (RMA et tout ça). Débutants s’abstenir.
« Tactique Théorique » du général Yakovleff, pour les vrais nerds de la tactique, ceux qui veulent vraiment aller dans le détail.
C’est indigeste, hein, mais c’est dans le fond de sac pour les capitaines.
Un classique pour finir : Ardant du Picq. J'en dis pas plus parce que mes souvenirs sont un peu lointains, mais c'est toujours sérieux de citer un classique.
(Blague à part: on a pas fait beaucoup mieux sur le rôle de l'homme au combat depuis. En plus, c'était un chasseur).
Voilà, je m’arrête là, vous pouvez me démuter ou me refollow si vous avez le courage.
Bonne fin de journée ! Mitch, out.

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Sep 13, 2018
À chaque fois que je commence un bouquin comme « The Fighters » de @cjchivers je me demande pourquoi je continue à m’infliger autant de lectures sur les guerres post 11 septembre.
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Jul 3, 2018
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Jun 5, 2018
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J'étais en CE2, début des années 90. Gosse de 8 ans, bavard déjà, turbulent sans doute, comme il y en a plein. Plein. Lui, c'était mon instituteur.
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