Thread by @Thais_not

OK, bienvenue à bord d'un thread un peu chaotique à destination des personnes féministes et blanches, particulièrement les meufs cis.

Ça fait quelques temps que je tombe de plus en plus souvent sur des commentaires de féministes blanches qui commentent des threads de personnes racisées en essayant d'invalider leurs expériences avec des propos soit-disant universalistes.

Du coup, j'vais essayer d'expliquer pourquoi ça me trigger de ouf, moi qui suis pourtant exactement la même chose, càd une féministe blanche, et pourquoi ce que vous considérez comme des réponses violentes sont carrément justifiées.

Déjà, on va commencer par remettre un truc au point: on sera jamais autre chose que des féministes blanches. Et c'est dommage parce que le White feminism est un truc turbo toxique.

Du coup notre seul pouvoir sur la situation c'est: faire en sorte que le féminisme blanc arrête d'être toxique. Jusque là c'est logique.

Ensuite, deuxième bail: les personnes racisées, et particulièrement les féministes intersectionnelles, ont raison d'être saoulées de devoir prendre des gants pour nous parler. Leur fameux "devoir de pédagogie" est mille fois plus lourd que le notre.

Donc c'est pas une réaction personnelle genre toi spécifiquement on t'aime pas, c'est juste le même ras-le-bol général qu'on a de devoir faire ça (y a des tas de féministes, même blanches, que ça gave de devoir expliquer des trucs aux non-feministes, genre coucou #Jesuiscute).

J'vais essayer de prendre des exemples un peu spécifique parmi les trucs que j'ai vu et trouvé hallucinant ces derniers temps.

Les meufs qui disent que c'est "toujours" des mecs racisés qui les harcèlent dans la rue. Donc pour commencer: stop invalider le discours des personnes racisées qui disent que non. Ça c'est la base.

Ensuite, faut faire un peu de gym pour comprendre comment ça fonctionne, parce que spoiler alert, même si ça peut être vrai dans un récit personnel, bah c'est pas universel déjà ET EN PLUS bah c'est quand même la faute du blantriarcat et de la façon dont la domination blanche

s'est établie culturellement avec vachement de violence et de mythes construits autour des personnes racisées.

Et en tant que blanches, on profite de ce système, même si ça saute pas aux yeux - j'y viens.

En gros, quand des hommes racisés qui harcèlent des meufs blanches dans la rue, ils réagissent à un système raciste qui a établi la femme blanche en modèle absolu de beauté et par extension de préciosité et de désirabilité

(ça passe par de la possession sexuelle mais aussi de la possession symbolique, d'où la forme de l'agression).

Ce système profondément raciste nous érige donc en modèle à atteindre, dans tous les sens du terme. Double effet kiss-cool du racisme: pour les hommes, ça permet de prolonger le mythe de l'homme racisé violent et sauvage, sans manière, un mythe du violeur de femmes blanches

(spoiler alert: King Kong à la base c'est un bon délire raciste en fait)

et donc de justifier toutes sortes d'abus de pouvoir sur eux (le contrôle au faciès, la répression systématique avec violence voire les meurtres de sang-froid).

Et chez les femmes racisées, ça a un impact super vicieux aussi cette image de la femme blanche. Déjà ça la pose en modèle absolu, donc welcome les business de produits blanchissants pour la peau à base de trucs chimiques des enfers, les lissages de cheveux hors de prix,

l'absence de cosmétiques adaptés tellement on nie l'existence des carnations foncées, pas de représentation dans les médias à partir de certains tons de peau

(notez que déjà qu'on en voit pas beaucoup chez les hommes, les actrices / mannequins / chanteuses racisées dont on met l'image en avant ont très rarement des carnations foncées).

Donc: mise en danger de la santé, invisibilisation ultra-violente symboliquement et dévaluation de leur physique au sein-même de leurs communautés. Cimer les blanc.he.s.

On peut rajouter les adjectifs racistes genre champ lexical de la savane ou de la nourriture pour les décrire physiquement, mythe de la "Angry Black Woman", de la femme musulmane soumise aux hommes et à la religion et incapable de penser par elle-même,

de la femme asiatique soumise particulièrement sur le plan sexuel et ultra-fetichisée, les attaques sur les femmes voilées "menaçantes" alors qu'on croise des bonnes soeurs en full tenue toutpar sans jamais crier "laïcité dans les espaces publics", bref c'est vraiment du délire.

Et qu'on le veuille ou non, nous les femmes blanches c'est un truc dont on profite implicitement. Et au cas où vous l'ayez pas noté, les hommes blancs en profitent grave aussi.

Déjà parce que du coup ils construisent leur image en opposition aux "sauvages" racisés et que du coup même les Weinstein et les Polanski s'assurent d'avoir l'air honorables.

Et ensuite, parce que du coup, bah les femmes racisées qu'ils participent à dévaluer aux yeux des femmes blanches et des hommes racisés, bah du coup ils peuvent en abuser.

Donc ouaip, les femmes racisées qui racontent comment à 12 ans elles se font aborder par des vieux blancs qui sont carrément en train de présupposer que c'est des prostituées tellement ils ont projeté leur vision colonialiste horrible sur des corps d'enfants, bah nous on se tait.

Parce qu'on saura jamais ce que c'est d'être en face d'un archétype de pouvoir absolu comme ça, parce qu'on coche trop de cases sur le bingo de ce pouvoir. On a été érigées en archétype non pas directement de pouvoir mais de beauté (ce qui est AUSSI une forme de pouvoir).

Donc OK, c'est pas nous qui l'avons fait, mais on en bénéficie, c'est le principe d'un privilège systémique en fait. Notre féminisme n'est pas illégitime, puisque nous sommes loin d'être l'égale des hommes blancs même en étant blanches nous-même.

Notre féminisme est légitime mais si y a bien une chose qu'il n'est pas, c'est universel. Considérer ça c'est rentrer dans le jeu du blantriarcat, c'est considérer que les souffrances s'échelonnent et n'ont pas toute la même importance.

Mais si on monte à leur niveau en continuant à écraser les gens qui ont été mis en dessous de nous par ces mêmes hommes blancs, bah on n'est pas des féministes: on est des White feminists, et du coup faut pas s'étonner d'être reçues comme telles.

Comprendre ça comme concept, c'est déjà un bon début, c'est une bonne ouverture vers la compréhension du concept de féminisme intersectionnel.

Et là du coup je reviens à moi. Je suis très loin d'être parfaite, j'apprends tous les jours et tous les jours je regrette des trucs que j'ai pu dire ou faire, mais j'essaye de m'améliorer.

J'essaye de pas tomber dans les "White Woman Tears" non plus, parce que des féministes racisées m'ont fait comprendre leur impact et à quel point c'était une autre arme puissante qu'on avait nous, les femmes blanches. (là dessus checkez les threads de @napilicaio)

La vérité c'est que, comme plein de féministes de ma génération, j'ai attaqué ma "formation" avec des ressources cursed type "dico des filles" ou "madmoizelle". Puis après, comme beaucoup d'étudiantes en sciences humaines, j'ai découvert les gender studies,

puis de fil en aiguille les porn studies, les ethnic studies et plein d'autres. Maintenant que je bosse (dans un bon gros monde d'hommes blancs d'ailleurs), je manque de temps pour lire régulièrement des ouvrages de fond, du coup je raffine mon féminisme grâce aux ressources

formidables que m'offre Twitter. J'ai découvert @MwasiCollectif, le mouvement #NtaRajel, le @AsiatDecolonial et tellement d'autres trucs. Les féministes intersectionnelles font avancer la cause de toutes les femmes - et bien plus.

Il faut arrêter de croire qu'on est l'universel simplement parce qu'on vit dans un monde qui a l'air de nous le dire. Sans déc ce monde nous dit tellement de trucs qu'on n'a pas envie de croire, un de plus c'est pas non plus une gymnastique intellectuelle de ouf.

Du coup, pour finir, voilà comment j'essaye de gérer ma parole en tant que féministe blanche. Je relais les ressources déjà. Je retweete - et je dis bien je retweete, pas je quote: Twitter marche à l'effet boule de neige,

plus les stats d'un Tweet sont élevées et plus elles ont de chances de continuer à grimper, hors la quote ne fait pas monter les stats de retweet.

Also, quoter ça veut aussi dire qu'on a un truc à dire, sauf qu'il faut apprendre que des fois on n'a rien à dire mais d'autres si du coup il faut donner de la visibilité à cette parole. Et si vraiment on a un truc à dire, on le dit dans un autre Tweet avec un #LRT et BIM

(c'est un truc que j'ai compris tard, cette histoire de quote, et je regrette ma tendance à quoter pour dire juste "thread à lire").

On commente pas dans les threads pour ramener les choses à soi, même si ça a l'air d'aller dans le sens du thread.

Genre on commente pas ça (

https://twitter.com/angela2lovegood/status/1024253931696910336?s=19

)
en disant que nous aussi des fois y a des blancs qui nous sifflent: c'est juste pas la même chose.

Et surtout please on commence pas à dire "t'es pas féministe si tu te bats pas pour les femmes blanches et donc toutes les femmes" comme ces trucs cursed là qu'il y a partout.

Si t'es pas dans leurs luttes, tu peux pas prétendre qu'il faille qu'elles soient dans les tiennes. Les White feminists ont tellement longtemps marché sur la tête des racisé.e.s pour grimper les échelons que c'est juste impossible.

Et du coup pour conclure (déso jpensais pas que ce serait si long), c'est à nous qu'il incombe de faire disparaître le White feminism, c'est pas aux personnes racisées de le "faire disparaître" en arrêtant de le dénoncer.

C'est à nous de faire en sorte que ce soit plus ce truc cursed de meufs privilégiées des enfers. Et ça passe étrangement par accepter que pendant un temps, ce soit plus à nous de parler.

Nous, on profite de notre privilège pour faire entendre, au contraire, la voix de celleux qu'on essaye de pas entendre. Le patriarcat et le blantriarcat marchent main dans la main. Y en a pas un qui tombe sans l'autre, alors faut accepter qu'on va perdre des privilèges.

Et c'est un bon exercice: vu que c'est exactement ce qu'on demande aux hommes de faire, on devrait être capable d'y arriver, et même de montrer l'exemple.

Ça y est j'ai fini 🎶 Déjà merci si vous arrivez jusque là. Ensuite déso parce que le thread est hyper binaire, et du coup je passe à côté de plein d'aspects de l'intersectionalité autour des LGBTQI+ ou des personnes métis. Hésitez pas si vous avez des ressources pour m'éclairer

Ou compléter sur ces sujets ; je vais chercher de mon côté et essayer de faire mieux la prochaine fois 💪

Et enfin: merci aux féministes racisé.e.s de Twitter de me botter fort le cul par les yeux pour que j'essaye d'être une personne meilleure. Vous êtes blessed ✨✨✨