J’ai vu pas mal de réactions passer sur le non-lieu rendu au bénéfice de Darmanin concernant la plainte de Mme Spatz-Patterson. nouvelobs.com/justice/201808…
Ce qui fait le plus réagir, c’est l’extrait de la motivation utilisée par le juge d’instruction dans son ordonnance de non-lieu :
(je cite) « Le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise ».
Je vais donc essayer d’expliquer précisément les mécanismes pour apprécier, en l’état actuel de la loi et des principes du droit pénal, l’élément intentionnel de l’infraction de viol. #thread
Avant, je démine.
Mon propos n’est pas de dire que ce non-lieu est ou non justifié. La décision n'est pas définitive, la partie civile a fait appel, et il y a selon moi, au vu des éléments relatés dans la presse, un réel débat à avoir dans cette affaire pour dire si il y a eu contrainte morale.
Mon propos n’est pas non plus de dire que la définition actuelle du viol par la loi est idéale et qu’il ne faut pas la changer (notamment pr y introduire la notion de consentement) ; je suis comme bcp : je m’interroge, et à vrai dire n’ai pas de conviction établie sur ce point.
Simplement, de ce que j’ai vu dans certaines réactions, je pense qu’il y a quelques points à éclaircir sur ce qu’est et comment s’apprécie l’intentionnalité en matière pénale et les questions que ça pose selon moi s'agissant du viol. Chacun ensuite se fera une idée.
Alors, déso pour les trucs chiants de droit, je vous fais pas un cours en plus j’en serais incapable, mais le truc à retenir : les principes fondamentaux du droit pénal, ils sont pas là pour décorer mais pour protéger toute personne de l’arbitraire,
et ils existent pour toute infraction pénale, notamment le viol, donc. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas des questions spécifiques à se poser s'agissant de leur application dans le cas du viol, mais j'y reviendrai.
Déjà, pour condamner quelqu’un pour un acte, à le supposer établi, il faut que cet acte soit défini par la loi comme étant une infraction pénale au moment où il a été commis (élément légal de l’infraction).
Et le droit pénal est d’interprétation stricte ; l’idée c que chaque citoyen, en lisant le code pénal, puisse savoir assez précisément ce qui est interdit. (c une fiction, on est OK, qui est la garantie accordée face à l'autre fiction du "nul n'est sensé ignorer la loi pénale").
La loi doit être précise (le Conseil constitutionnel retoque des lois lorsqu’elles ne le sont pas assez, et c’est ce qui s’était passé par exemple avec la loi sur le harcèlement sexuel en 2013 je crois (je parle de mémoire).
Les juges ne doivent pas interpréter de façon extensive, procéder par analogie, etc. La Chambre criminelle de la Cour de cassation est sensée y veiller et censurer les juges sinon. Et elle le fait.
(là des avocats pénalistes relous vont me sortir à juste titre des exemples de jurisprudences très contestables ou des QPC retoquées : OUI JE SAIS :) Je ne dis pas que les limites sont simples et claires)
La définition du viol (je vous mets la version en vigueur avant le 6 août 2018, puisque justement pour Darmanin, c’est celle-là qui doit être prise en compte compte : la définition de la loi AU MOMENT des faits, c’est ça l’élément légal) legifrance.gouv.fr/affichCodeArti…
Le terme « consentement » n’apparaît nulle part dans la définition légale du viol.
Donc lorsque le juge écrit dans son ordonnance « Le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol » il se borne à rappeler l’élément légal de l’infraction.
C’est peut être difficile à comprendre/accepter, mais en réalité, le consentement, entendu comme la volonté ou non de la personne qui se dit victime, son sentiment intérieur, le fait qu’elle accepte ou non tel acte sexuel, n’entre pas dans la définition légale du viol.
Ce qu’il faut, c’est rechercher et être capable de démontrer l’existence d’une menace, violence, contrainte ou surprise ayant permis à l’agresseur désigné d’obtenir l’acte de pénétration sexuelle.
En d’autres termes, cela signifie : « la plaignante dit qu’elle n’était pas consentante pour cet acte sexuel ; ça c’est son ressenti intime et même si je ne le conteste pas, moi juge, je dois m’interroger sur la caractérisation des éléments du viol :
suis-je en présence d’éléments extérieurs qui manifestent l’emploi de violence, menace, contrainte ou d’une surprise ? ».
Pour cela, il faudra analyser précisément le contexte des faits, les échanges verbaux et non verbaux entre la victime déclarée et l’auteur désigné, les récits de la ou des scènes d’actes sexuels, les éventuels témoignages, écrits, certificats médicaux ou autres preuves, etc.
La difficulté dans cette affaire réside, semble-t-il, dans le fait qu’on est dans une question autour de l’existence ou non d’une contrainte morale (accepter/promettre de rendre un service en usant de son influence supposée, en échange d’un acte sexuel),
tandis que la plaignante a dû en apparence du moins, « consentir ».
(ce qui n’est pas contradictoire et même logique ds le cas d’une contrainte morale qui a en général justement pr effet voire pour but, d’obtenir un/des actes sexuels sans rencontrer d’opposition verbale et physique, voire permet même d’obtenir un rôle sexuel actif de sa victime)
Dc on voit bien très clairement ici que le ressenti de la plaignante « je n’étais en réalité pas consentante » « ce n’était pas un consentement librement donné » s’entend et est même parfaitement crédible, mais qu’il ne peut suffire à emporter la qualification de viol.
Le débat aura lieu en appel je pense sur la caractérisation ou non d’une contrainte morale. Et pour le trancher, clairement, il faut connaître tous les éléments du dossier, même si ça n'empêche pas d'interroger les notions et mécanismes en jeu.
Mais je passe à la seconde phrase extraite de l’ordonnance du juge, qui, là, est plus ardue, et a je crois, provoqué un tollé : « Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise ».
(mais comme il est tard et que je suis fatiguée, vous aurez la suite demain) #désolée#flemme#hinhinhin
Et tout de suite, la suite ! (coucou @kinkybambou <3)
Je vais essayer de vous expliquer cette deuxième phrase citée de l’ordonnance, qui renvoie à ce qu’on appelle l’élément moral de l’infraction, et surtout comment il s’apprécie concrètement, à l’aide de quel type de raisonnement.
Le juge ici fait implicitement référence à l’article 121-3 alinéa 1er du Code pénal « il n’existe point de crime ou délit sans intention de le commettre » legifrance.gouv.fr/affichCodeArti…
(les alinéas suivants concernent les infractions dites « non intentionnelles », et ne concernent donc pas le viol, qui est bien un crime intentionnel)
Pour condamner quelqu’un pour un crime ou délit intentionnel il faut s’assurer de deux choses :
1. Qu’il n’y a pas de cause d’irresponsabilité pénale, causes dont la liste est dressée dans le code pénal ici, dont on considère en quelque sorte qu’elles font disparaître, de fait, l’intentionnalité, legifrance.gouv.fr/affichCode.do;…
Je vous en liste certains vite fait, vous allez comprendre sans avoir besoin de lire dans le détail si ça vous saoule :
- être atteint d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli le discernement
- ne pas encore être doté de discernement pour un mineur
- avoir agi en état de légitime défense de soi-même ou d’autrui, ou sur ordre de la loi ou d’une autorité légitime, ou en état de nécessité.
Clairement, si on prend cette liste, je ne pense pas que Darmanin rentre dans l’une quelconque de cette catégorie (et je vous rassure en cas de besoin, on ne peut pas invoquer la légitime défense, l’état de nécessité pour justifier un viol).
Il faut donc s’intéresser à la deuxième chose.
2. Il faut démontrer que l’auteur désigné était animé d’une intention coupable.
J’ai vu beaucoup de réactions indignées car comprenant la phrase de l’ordonnance du juge comme signifiant que finalement, c’est l’auteur désigné qui, in fine, décide en quelque sorte ou non si il est coupable.
Je conçois tout à fait que l’on puisse comprendre cette phrase de l'ordonnance ainsi, telle qu’elle est formulée, lorsqu’on ne connaît pas les concepts juridiques auxquels elle renvoie. Et si tel était le cas, ce serait très problématique en effet.
On ne s’arrête évidemment pas aux seules déclarations de la personne mise en cause. Sinon il suffirait de proclamer son innocence, son ignorance, son incompréhension, pour obtenir un classement, être relaxé, acquitté ou bénéficier d’un non-lieu.
Déjà, la justice tient pour acquis qu’en matière pénale, tout le monde connaît la loi (le fameux « nul n’est censé ignorer la loi »).
Donc peu importe que la personne dise ignorer comment la loi définit le viol, ce qu’est une contrainte morale au sens de la loi pénale, par exemple. Elle est censée le savoir. On ne peut pas plaider l’erreur de droit
(sauf cas très particulier, listé dans les cas dans le lien ci-dessus, « erreur insurmontable », et clairement pas dans le cas du viol).
Et de fait (je précise parce que j’ai vu une juriste revendiquée dire « il faut avoir conscience de commettre un viol pour être condamné »), on condamne des gens pour viol ou agression sexuelle qui n’en connaissent même pas la définition.
Des mineurs, qui découvraient la définition de l’agression sexuelle dans mon bureau au moment de leur mise en examen, par exemple, j’en ai condamnés plein.
Je signale qu’une altération de l’état de conscience par l’absorption d’alcool ou de drogue de l’auteur désigné ne sera pas non plus de nature à faire obstacle à l’intention coupable.
On considère que la personne est responsable de son état, et ne saurait donc l’utiliser pour éluder sa responsabilité pénale. L’état d’ivresse est même, très souvent, une circonstance aggravante d’une infraction selon le code pénal.
Ensuite, pour retenir l’existence d’une intention coupable, on va examiner les faits tels qu’ils nous semblent démontrés par les différents éléments de preuve au dossier, et on va en quelque sorte en « déduire » l’intention coupable.
(après avoir vérifié que les faits caractérisés par les preuves rentrent bien dans la définition de l'infraction)
On va en gros se demander si une personne normalement raisonnable, qui connaît la loi pénale, placée dans les mêmes circonstances, et agissant comme l’auteur désigné, aurait ou non conscience de commettre le crime ou délit reproché.
Est notamment un recel le fait de détenir un bien qu’on sait provenir d’un délit quelconque.
Admettons que dans le dossier il est démontré que X à acheter un iphone quasi neuf pour 20 €à un inconnu dans la rue qui était en possession d'une casse plein de téléphone mobile dernier cri, les qu'elle venait d'être volé dans la réserve du mobistore du coin.
Et bien x aura beau protester de sa bonne foi, dire qu'il ne connaissais pas cette infraction de recel, n'a pas réfléchi, qu'il a pensé que cette personne avait peut-être eu un plan clean, que son cousin lui a assuré que c'était réglo ou que sais-je : il sera sans doute condamné.
parce qu'on considère que n'importe quel individu un peu raisonnable DEVRAIT comprendre que c'est mobile on sans aucun doute une origine frauduleuse.
Donc cette fois pour infraction de viol comment va-t-on apprécier l'existence d'une intention coupable ?
Et bien de la même manière, on va discuter les éléments de preuve et lorsque l'on aura au vu des preuves, retenu les éléments qu'on estime établis, on en déduira ou non, toujours en référence à notre individu lambda normalement raisonnable et qui connaît la définition du viol,
l'intention coupable.
Évidemment pour le cas d'un acte de pénétration sexuelle imposée par l'emploi de violences physiques ou sous la menace d'une arme, l'intention coupable sera évidente.
Donc vous avez bien compris que l'intentionnalité est étroitement lié aux faits eux-mêmes.
Pour en revenir au cas de G. Darmanin, je pense depuis la lecture de l'article de l'Obs (et j'ai le plein d'articles depuis, dont la présentation est identique) que le débat ne porte pas sur l'intention coupable véritablement,
Mais bien sur le fait que les faits tels qu'ils seraient établis par les investigations seraient constitutifs d'un viol.
Et je crois que le débat porte sur l'existence ou non d'une contrainte morale.
Et l'avocate de la partie civile me l'a confirmé ici, en disant que ce débat sur l'intentionnalité n'a pas eu lieu.
Il semble bien que le non-lieu est motivée sur le fait que les faits ne serai pas constitutifs de viol alors même qu'à priori l'existence d'un acte de pénétration sexuelle n'est pas contestée.
C'est donc probablement qu'il est estimé que la contrainte morale n'est pas caractérisée.
Deux ou trois choses en vrac pour alimenter la réflexion (et après j'arrête, promis).
Sur cette histoire de fiction juridique du standard de la personne normalement raisonnable : c'est précisément ici que peuvent se nicher les biais du magistrat, les stéréotypes de genre, la culture du viol notamment.
Si le standard de la société c'est "une femme qui dit non dans telles circonstances (par exemple elle a accepté un dernier verre chez lui après avoir flirté) ce n'est pas vraiment un nom et insister jusqu'à ce qu'elle finisse par céder et légitime
de sorte qu'il n'y aurait pas viol puisqu'elle aurait finalement consenti" ou encore "une femme habillée comme ci ou ça, alcoolisée, en boîte de nuit, elle sait à quoi elle s'expose",
Alors il n'y a pas de raison que certains magistrats n'est pas les mêmes standards, et vous comprenez bien que ça peut jouer au moment où il s'agit d'apprécier l'existence d'un viol et une intention coupable.
Sur la notion de contrainte morale : il va falloir sérieusement poser le débat, au-delà de cette seule affaire (qui est toujours en cours et qui sera débattu par les parties qui ont, elles seules, accès au dossier)
de l'appréciation du consentement lorsqu'il est donné en contrepartie de quelque chose.
Est-ce que ça peut rentrer dans la définition de la contrainte morale, et à quelles conditions ?
Je pense à ces témoignages d'étudiantes qui sont sollicitées sur le plan sexuel pour obtenir un logement pas cher par exemple.
On sait que pour certaines féministes, la prostitution est toujours le résultat d'une contrainte.
D'autres, non abolitionnistes, pense que c'est une activité qui peut pour certaines résulter d'un choix, ce dont témoigne des personnes prostituées.
Et hors du cas de la prostitution comment se situer lorsqu'on a affaire à une personne qui "accepte" un acte sexuel en échange d'un service quelconque ? Regarde ton le contexte général, la situation particulière des personnes, l'éventuelle situation de vulnérabilité?
Je mets ici le thread de l'avocate de la partie civile dans l'affaire mettant en cause Darmanin, qui évoque la convention d'Istanbul.
Comment intégrer les exigences de cette convention et l'appréhension de la notion de consentement libre et éclairé alors même que notre définition du viol n'évoque pas le consentement ?
(rappelons que lors de l'examen de la loi Schiappa, les amendements tendant à intégrer le consentement dans la définition du viol ont été retoqués)
Peut-être justement en réfléchissant à l'intégrer dans notre conception jurisprudentielle de la contrainte morale ?
Il faut prendre connaissance de cette histoire atroce, et peser les mots écrits par le président Tribunal de grande instance de Rennes, révélés dans cet article. #ProtectionDeLEnFance#Thread
Il ne s'agit pas ici de dédouaner qui que ce soit, non plus de pointer telle ou telle personne ou institution en particulier ; il faudrait en effet décortiquer précisément l'ensemble des éléments du dossier pour pointer les différentes défaillances et leurs causes.
Pour autant, la question des moyens alloués d'une manière générale à la protection de l'enfance, et notamment au traitement judiciaire de la protection de l'enfance, ne peut pas, ne doit pas, être évacuée.
Quand même, si on résume, hors toute qualification pénale, on a : #Benalla
- un chargé de mission à l'Elysée, dont le nom et les fonctions officielles n'apparaissent nulle part, comme d'autres, et qui ne font pas de déclaration à la HATVP
- qui échange par SMS avec un flic haut-gradé en mode "chaud le maintien de l'ordre avec les gauchistes"
Le rappel à la loi suppose que le parquet estime une infraction pénale caractérisée. Si tel n'est pas le cas, le parquet classe sans suite pour "absence d'infraction" ou "infraction insuffisamment caractérisée.".
Et, en matière d'infractions sexuelles, on a un taux de classement sans suite pour ces motifs dans bien plus de la moitié des cas.
Un de mes trucs préférés : les gens qui font semblant de ne pas comprendre et s'indignent sur des trucs qui n'ont rien à voir en mode "et la prochaine étape c'est la Corée du Nord 😤😤😤 ?" <3
(ah merde, je viens de réaliser que c'est la meuf qui a fait le reportage sur la ZAD, pardon, j'ai une crise de rire, c'est nerveux)
Bon, alors, je reviens juste sur cette histoire de la FIFA et des images de supportrices sexy là. Parce que c'est qd même assez symptomatique du délire ambiant.
Je pense qu’à peu près tout le monde a suivi donc je ne vous fais pas le résumé, et me contente d’envoyer vers un lien qui résume le truc. huffingtonpost.fr/2018/01/18/la-…
Donc nous en sommes à un stade où en effet Eric Brion, lequel a eu droit à sa tribune dans le Monde, dépose plainte en diffamation contre Sandra Muller et évalue lui-même son préjudice à 50.000 €.
Hop, #thread, sur les juristes de ma TL et Causeur.
J’ai vu cet article circuler et relayé avec enthousiasme par pas mal de juristes de ma TL. causeur.fr/acquittement-m…
Evidemment je le lis. Et là, malaise.
Malaise sur le ton et un certains nombres de réflexions, mais aussi étonnement face à certains éléments factuels évoqués que je n’avais, de mémoire, jamais lus ailleurs dans la presse.