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Sep 17, 2018 47 tweets 7 min read Read on X
Il faut prendre connaissance de cette histoire atroce, et peser les mots écrits par le président Tribunal de grande instance de Rennes, révélés dans cet article. #ProtectionDeLEnFance #Thread
Il ne s'agit pas ici de dédouaner qui que ce soit, non plus de pointer telle ou telle personne ou institution en particulier ; il faudrait en effet décortiquer précisément l'ensemble des éléments du dossier pour pointer les différentes défaillances et leurs causes.
Pour autant, la question des moyens alloués d'une manière générale à la protection de l'enfance, et notamment au traitement judiciaire de la protection de l'enfance, ne peut pas, ne doit pas, être évacuée.
Nous avons ici un Président de Tribunal qui évoque la partie qu'il connaît : les moyens alloués aux juges des enfants oeuvrant au sein de sa juridiction, et le travail fourni par ces magistrat-e-s et les greffier-e-s de ces services.
Son message est clair : malgré l'engagement professionnel sans faille de ces professionnel-le-s, aucune garantie ne peut être apportée que de telles situations dramatiques et scandaleuses ne se reproduisent.
Evacuons d'emblée une question : en effet, le risque zéro, en matière de protection de l'enfance, n'existe pas. Un service éducatif, un-e magistrat-e, peuvent, pour diverses raisons, avoir une mauvaise appréciation de la situation. Se tromper.
Et, je l'ai dit, au delà de la seule question des moyens, il y a bien des questions à se poser sur nos process d'évaluation des situations de maltraitance, et de détection des violences sexuelles sur mineur-e-s.
Il n'empêche que le temps alloué à l'examen de chaque situation, les moyens d'investigations déployés ne comptent pas pour rien. Loin s'en faut.
Lorsque le Président du TGI de Rennes indique que chaque juge des enfants de sa juridiction suit 650 dossiers d'assistance éducative là où la moyenne nationale est de 350, peut-être que ça ne vous parle pas.
Et bien, moi, ça me parle.
(NB : assistance éducative : dossier suivi pour mineur estimé en danger. Et 1 dossier = 1 fratrie le cas échéant, pas 1 enfant).
moyenne nationale de 350 dossiers par juge des enfants = il est gentil. A vrai dire je n'ai jamais rencontré 1 juge des enfants ne suivant QUE 350 dossiers, ou alors il n'est pas considéré comme étant à temps plein juge des enfants et on lui assigne en plus d'autres fonctions.
Juge des enfants 5 ans, je n'ai jamais eu moins de 430 dossiers, et je faisais quelques autres petites taches en parallèle dans la juridiction...au même titre que mes collègues et bien d'autres d'autres TGI.
(les autres collègues d'autres fonctions ne sont pas mieux lotis, hein, ce n'est pas la question)
A 450 dossiers, on rame. On ne fait pas tout ce qu'on devrait faire, et on ne le fait pas comme on devrait le faire. A 650, c'est bien simple : c'est mission impossible.
Un juge des enfants, il doit, avant de statuer : prendre connaissance du dossier (parfois volumineux, car la famille peut être suivi depuis des années avant son arrivée), lire l'ensemble des nouveaux rapports éducatifs, organiser une audience,
prendre connaissance de l'avis du parquet sur la situation ( attention SPOILER : la plupart du temps il n'y en a pas ! Et oui ! car les parquetiers pour mineurs, qui croulent aussi sous le tag, n'ont absolument pas le temps de suivre ces dossiers.
C'est un avis obligatoire normalement. On s'assoit dessus. Oui, on viole la loi. Et on se prive d'un second regard, pourtant précieux, on comprend bien pourquoi quand on prend connaissance de cette histoire.)
A l'audience, il faut avoir suffisamment de temps à accorder à la famille pour l'entendre, les enfants séparément parfois car c'est utile (on comprend bien pourquoi, encore une fois), poser des questions, essayer de démêler les fils,
entendre les représentants des services éducatifs mandatés, leur faire préciser des points (ils n'ont pas pu TOUT écrire dans leurs rapports), entendre les avocats. Il faut que chacun puisse s'exprimer et répondre aux éléments avancés. Un débat contradictoire.
Temps moyen d'audience d'après vous ? cela dépend des juges des enfants, et évidemment des situations traitées, plus ou moins complexes, avec des enjeux plus ou moins cruciaux (pour peu qu'on les ai bien évalués).
Moi, mon créneau de convocation : 45 minutes par famille.
Je pense être dans la moyenne de mes collègues. Parfois évidemment on explose le créneau ou prévoit plus, mais disons qu'on s'astreint globalement à ce rythme.
A 450 dossiers, on reçoit environ 5 familles, 6 les mois plus chargés. (mai/juin/septembre tmtc si t'es JE)
Concrètement : on est en entretien de 9 h 00 du matin jusque vers 15h, et on avale un truc en une demi heure pour la pause déjeuner, devant son ordi, pause café 15 minutes.
Ensuite il faut rédiger les jugements (5 ou 6 donc, si vous suivez) et les MOTIVER. Pour que les familles comprennent nos décisions, parce qu'on fait du droit, pour que les services éducatifs puissent s'appuyer dessus pour travailler.
Et il faut aussi traiter le courrier, gérer les urgences quand il y en a (et c'est pas anecdotique), gérer l'agenda et les convocations, etc.
Et ça c'est pour 4 jours sur 5 de la semaine, le 5ème étant consacré au pénal en général (ce qui signifie : d'autres audiences et d'autres dossiers à préparer : mises en examen, jugements pénaux, application des peines pour les mineurs).
Enfin, 80 % mineurs en danger, 20 % pénal, ça c'est le ratio pour un juge des enfants dans un TGI de faible/moyenne délinquance des mineurs. Dans d'autres, le pénal est plus important (sans que le nombre de mineurs en danger ne diminue proportionnellement, vous vous doutez bien).
Donc à 650 dossiers, vous faites comment ?
Bah en fait, votre "choix" se résume à : quelles audiences je ne fais plus alors que je devrais (=violer la loi) ? Quels jugements je ne motive plus ou presque plus alors que je le devrais (= violer la loi) ? Ne puis-je pas réduire mes créneaux d'audience à 30 ou 20 minutes ?
Parlons un peu des greffier-e-s.
Et bien le sous-effectif est chronique et important (pas que dans les services mineurs, mais là aussi).
Donc là c pareil. Les "choix" : ne pas avoir de greffier-e pour chaque audience (=violer la loi et rendre une décision susceptible d'être annulée pour ce motif) pour que toutes les autres taches de greffe (ce sont eux qui font tourner la boutique, hein) puissent être accomplies ?
Réduire les temps d'accès au greffe (physique et téléphonique) du public, qui sont bien "chronophages" mais pourtant si basiquement nécessaires, en terme d'humanité, de capacité à être réactifs et mieux percevoir les situations ?
Vous ne vous représentez pas forcément le travail d'accueil du greffe, mais au Tribunal pour enfants, c'est recevoir les familles, les orienter, les aider à faire un courrier, prendre un message téléphonique, détecter une urgence (qui peut être un enfant/parent en détresse), etc.
Parlons maintenant des services éducatifs.
Et bien la pénurie aussi est de mise. Les services éducatifs, depuis l'évaluation des premières informations préoccupantes sur un enfant en danger, au services qui accompagnent les enfants, au sein de leur famille, ou placés.
On a des services qui ne démarrent les mesures qu'on leur confie que plusieurs mois après. Souvent, dans plein de départements.
et les éducs aussi ont des "choix" à faire : prioriser tel ou tel suivi (ce qui implique que l'on ait bien évalué les situations, mais évidemment on peut se planter et telle situation qui semblait à peu près stabilisée peut évoluer et se dégrader) ;
rédiger de bons rapports bien précis et étayés ou passer davantage de temps sur le terrain auprès des enfants et leur famille ?
Les moyens d'affiner les évaluations et appréciations des situations maintenant, regardons un peu.
Pénurie d'experts psychologues et psychiatres et pédopsychiatres. Quand ils acceptent une mission déjà on est "content", et nous rendent le rapport 6, 8 mois, parfois plus après.
Pour les situations dans lesquelles on a repéré que les visites parents/enfant protégé devraient être accompagnées par la présence d'un éduc : là aussi, on se heurte à la question des moyens. Réduire les temps de visite (avec des conséquences qui peuvent être lourdes pr l'enfant)
ou maintenir tout de même des visites hors présence d'éduc et les risques que cela peut comporter ?
Dernier truc : (et ceci n'est pas destiné à dédouaner qui que ce soit, juste essayer de réfléchir à évier autant que faire se peut certains dysfonctionnements) : ds tout cela, il arrive que des informations se perdent ou passent à l'as.
Parce que les professionnels qui suivent une situation changent (éducs, juges, etc).
Ou bien des éléments d'information ne sont pas traités et appréhendés à leur juste valeur. Ou bien on se passe de "creuser" parce qu'on n'a pas les moyens de le faire dans tous les cas.
Alors, encore une fois, la question des moyens n'explique pas tous les dysfonctionnements. On va pas se cacher derrière son petit doigt. Mais elle n'est tout de même pas une mince affaire.
#EndSinonJeParsJusquAuBoutDeLaNuit
Juste ce tweet en addendum. La situation n'est pas nouvelle donc, même si beaucoup de professionnels qui ont de la bouteille déplorent une tendance à l'aggravation...

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