Thread by @Maitre_Eolas

Tiens, je vais gueuler un coup ça va me faire du bien.

Ces dernières semaines, j'ai eu l'occasion à plusieurs reprises d'être référent, c'est-à-dire d'encadrer les permanences pénales.

Le référent ne plaide aucun dossier #CoitusInterruptus mais s'assure que les avocats de permanence n'aient que ça à faire #BouteEnTrain

On fait l'interface avec le parquet des comparutions immédiates (le P12), le greffe, les juges d'instructions, les JLD…

On est deux et la matinée se passe à gérer tous les problèmes, des plus simples aux plus complexes. C'est ingrat mais indispensable.

On file un coup de main aux avocats de permanence aussi, qui peuvent être confronté à un point de droit qu'ils ne maitrisent pas.

Un référent, c'est 7 ans de pratique du pénal minimum. On a une expérience précieuse pour les plus jeunes confrères.

Le but étant d'assurer une défense d'urgence de qualité, l'objectif étant même l'excellence. Et c'est très bien.

Et ça marche. La qualité de la défense fournie a vraiment progressé depuis 15 ans. L'ordre soutient, on a des moyens et du matériel.

Par exemple, il y a 15 ans, peu d'avocats restaient pour les délibérés. Ca paraît fou aujourd'hui où tout le monde reste.

Pour faire les permanences, vu qu'à Paris on croule sous les volontaires (l'avantage d'être 28000 avocats), il y a des conditions préalables

Il faut suivre 24 heures de formation pratique dispensées par l'excellent @ChStPalais outre 8h de formation continue en pénal.

Un QCM valide la formation préalable.

Enfin, la première permanence se fait sous la direction d'un référent, on appelle ça le tutorat.

On les aide à préparer le dossier et mener l'entretien, mais ils plaident.

Malgré cela, ce n'est pas un examen de droit pénal. Quelqu'un ayant les notions minimales que confèrent des études de droit peut passer.

Et c'est là que je vais gueuler un coup. Certains confrères (une minorité) qui arrivent à la barre ne sont pas prêts à l'exercice.

Ce n'est pas un oral où, en potassant les points essentiels et en faisant des impasses sur ce qui ne sort jamais on arrive à avoir 10/20.

C'est une audience. Une vraie. Avec un vrai dossier, un vrai prévenu, une vraie peine à la clef.

Les permanences pénales ne sont pas faites pour se former sur le tas. C'est la responsabilité de l'avocat de se former AVANT.

Le droit pénal est un droit technique. Il ne s'improvise pas, d'autant qu'en face, vous avez des magistrats fort bien formés.

Et c'est un droit où la seule obligation légale est de laisser parler l'avocat. Fut-ce pour ne rien dire.

Mais une vraie défense se doit d'être active. De prendre des initiatives, de proposer. De casser le train train de l'audience.

Une magistrate du parquet m'avait un jour fort joliment résumer ce qu'elle attend d'un avocat par un paradoxe.

Et je crois que les juges partageront cette vision. Voici ce paradoxe de la défense.

L'avocat doit à la fois aider le juge à prendre sa décision et compliquer sa réflexion sur la décision à prendre.
Je développe.

La défense doit pointer du doigt les faiblesses du dossier, les contradictions, les détails qui peuvent échapper aux magistrats.

Rappelons qu'aux comparutions immédiates, des dossiers arrivent alors que l'audience a commencé. Les juges les lisent vite.

Ils lisent l'interpellation, les plaintes, les auditions, les dépositions, et regardent rapidement les photos et scellés.

Les autres PV ont droit à un coup d'œil rapide, pas plus. Pas le temps. Si un détail s'y niche, c'est à l'avocat de le sortir.

Donc on doit égratigner la vision superficielle que le juge aura tiré du dossier. Le faire douter de cette impression.

Ca va compliquer sa décision, l'obliger à réfléchir. Mais il vous en saura gré. Car sans vous il serait passé à côté.

Une fois que vous avez bien saccagé ses pré-jugés sur le dossier, il faut l'aider à prendre sa décision. Quitte à plaider la peine.

Plaider la clémence, c'est ne rien plaider du tout. Parce que l'égalité devant la loi s'oppose à ce qu'on soit + gentil avec votre client.

Donc justifier pièces à l'appui pourquoi la détention ne s'impose pas, et même proposer un dispositif prêt à prononcer.

Ce qui suppose qu'il soit légal et réaliste.

Et pour ça, il n'y a pas de secret, il faut connaître le droit pénal. Pas juste la définition de la tentative, tout.

La procédure, les règles de concours d'infraction, le droit des peines, tout.

Je suis ulcéré d'avoir entendu des confrères plaider la relaxe dans des dossiers où les faits sont établis et reconnus à l'audience.

Le juge n'a PAS LE CHOIX. Il doit prononcer la culpabilité. Même s'il trouve votre client sympathique. Lui aussi a prêté serment.

En plaidant l'impossible, qui leur interdit de plaider sur la peine, ils laissent leur client sans défense.

De même pour les plaidoiries télépathiques : "mon client regrette ce qu'il a fait, il sait qu'il a commis une erreur". Qu'en savez-vous ?

Vous n'êtes pas le témoin de moralité de votre client que vous ne connaissiez pas il y a une heure, vous êtes un technicien du droit.

Je ne mentionne même pas l'avocat qui à la fin de la plaidoirie fait remarquer qu'en plus, il y a un problème de procédure.

Vous n'avez rien à faire dans un prétoire si vous n'avez pas lu, avec le soin que vous preniez pour préparer une matière d'écrit, un traité.

Pas un manuel. Un traité. A la fin de cet oral, vous n'êtes pas noté, c'est quelqu'un qui joue son avenir.

Qui dormira ce soir en prison ou pas, et c'est votre parole qui résonnera en dernier pour éviter cela.

Prenez votre temps. Potassez et assistez à des audiences. Préparez-vous vraiment. Et vous ferez du bon travail.

Voilà. Ça ne vise qu'un avocat sur 10 ou sur 20 aux compas. Le reste fait un super job et je finis ma perm très fier d'eux et elles.

J'insiste sur le elles. Le pénal était le dernier bastion masculin, il est enfin tombé, et pour le plus grand bonheur des prévenus.

Les vieux confrères qui disaient que le pénal, c'était une affaire de mecs, venez voir plaider les consœurs, et prenez des leçons.

Voilà, fini, et comme prévu, ça m'a fait du bien.
#END