[Thread 6] Après les événements fous et effrayants du vendredi 13, je reviens travailler dans cet hôtel avec une certaine appréhension.
Cette nuit, on a un mariage.
Le grand salon que j'ai dressé la semaine dernière, c'était donc ça.
Quelle surprise ! Super, je suis ravi.
Donc là, toute la nuit, je ne vais pas être tranquille. La musique à fond, des gens bourrés qui vont me faire chier.
Au moins, ça va me faire oublier les frayeurs de la nuit dernière et de toutes les autres.
La nuit va passer plus vite aussi…normalement.
Le premier salon face aux chambres n'est pas utilisé, par principe.
Les parois des 3 autres ont été escamotées pour en faire un plus grand.
Le week-end dernier, j'avais installé les tables et chaises. En semaine, les autres employés ont dressés tout le reste: vaisselle, déco.
L'équipe va rester jusqu'à 1H du matin pour continuer le service, pour le gâteau, le champagne et pour avancer le débarrassage des tables.
Tellement de choses à faire. Je vais devoir me taper la plonge cette nuit, plus tous les verres à nettoyer. Galère !
Et demain matin quand ce sera terminé, on m'a demandé de débarrasser toutes les tables de la vaisselle restante de leurs déchets et nappes.
J'imagine même pas tout le taf. Je pense aux cotillons, aux cendriers, à toutes sortes d'emballages, aux serviettes tissus et papiers,
…aux verres cassés, aux restes de gâteaux, aux tasses à café, aux seaux de champagne, aux vomis.
Bon allez, il est bientôt 23H, je vais prendre mon poste.
Et puis s'il se passe quelque chose, je vous raconterais.
Il est 1H30, mes collègues sont partis.
La soirée a été dingue, complètement hallucinante. Je ne parle pas du mariage.
Un truc abominable est arrivé ce soir.
Ça a commencé quand le patron est revenu de l'extérieur en voiture expliquant qu'il a eu un accident.
Mais il paraissait plutôt content bizarrement. Il demande au cuistot et au serveur de le suivre pour leur montrer ce qu'il a ramené.
Le serveur revient me voir.
- Putain, il a ramené un sanglier.
- Quoi ?!
- Dans le coffre.
- Tu blagues !
- Je t'assure, va voir si tu veux.
Arrivant dans la cuisine, je vois le patron et le cuistot y traînant la bête inerte, depuis le local poubelle, suivis d'une traînée de sang.
Le patron tout fier admire son trophée tel Obélix revenant de la forêt.
- Alors, belle bête hein. Je l'ai heurté avec la voiture…
…et comme elle n'était pas entièrement sonnée, j'ai foncé dedans une seconde fois. C'était violent putain !
…Elle a valsé contre un arbre. J'allais pas la laisser là, ça fait à bouffer ça ! On en a pour 2 semaines ou 1 mois.
Le cuistot est sceptique.
- Vous allez en faire quoi ? On n'a pas assez de place.
- On va le couper en morceaux, ça va rentrer, t'inquiète.
- Je suis cuistot, pas boucher. Et puis niveau hygiène là, on est mal.
- Mais non, personne n'en saura rien, je vais le découper moi,
…remonte-moi la tronçonneuse de la cave.
À ces mots, je fuis en allant voir le serveur.
- Il veut prendre la tronçonneuse !
- Quoi ?!
Le serveur fonce voir ce qui se passe, je suis.
Je reste à la porte de la cuisine par curiosité.
La serveuse revient du mariage, elle crie.
Le patron la rassure.
- Il est mort, c'est bon. Enfin, je crois, il est p'tet sonné.
Dégoûtée, la serveuse ressort pour s'arrêter au bar.
Je fais le tour pour la rejoindre.
- C'est quoi cette connerie ?! Qu'elle fait.
- Il a heurté un sanglier, donc il l'a ramené.
- Mais il va en faire quoi ?
- Ben il va le découper, il a demandé une tronçonneuse.
- Arrrgh ! Qu'elle fait dégoûtée.
Bon, c'est le moment de ramener la pièce montée en salle.
Le serveur et la serveuse s'en chargent brusqués par les événements.
Je reste dans la cuisine tout en vérifiant d'éventuelles arrivées extérieures par le battant de la porte.
Le cuistot remonte avec la tronçonneuse, non confiant.
- Vous êtes sûr de vous là ?
- Ben oui, ce sera plus rapide. On va détacher la tête,
…de toute façon je bouffe pas le museau !
Le patron allume le moteur et positionne la scie au niveau du cou de la bête.
On entend un léger grognement, les oreilles du gibier frétillent, ses paupières découvrent les globes foncés et humides. Le monstre s'agite.
- Putain il se réveille!!! Vite file moi la grosse casserole.
Le cuistot s'exécute en tendant la plus grosse au patron qui frappe très fort.
Le bong est violent, l'animal bouge encore. Il frappe une seconde fois la tête et une troisième fois pour l'achever.
- Voilà, il est sonné, mais encore en vie. Faut le tuer avant, on sera plus tranquille. Je reviens.
Le patron se lève et quitte la pièce.
Le cuistot et moi sommes abasourdis.
- Qu'est-ce qu'il nous fait là ?!
Je réponds au cuistot d'une remontée de sourcils et d'un souffle.
Le patron revient avec un arc et ses flèches qu'il utilise pour la chasse.
Il installe un carreau sur la corde qu'il tend, prêt à décocher.
À ce moment-là, la créature s'agite à nouveau, faisant perdre l'équilibre du patron.
Il lâche la corde, le projectile s'envole…
…pour se planter dans la tête du cuistot, d'une tempe à l'autre.
Stupéfaction totale ! Quasi arrêt cardiaque pour ma part !
L'animal s'agitant toujours, le patron lui décoche une flèche dans la poitrine.
Puis on s'occupe du cuistot qui bouge encore.
Avec ses grands yeux ouverts, il nous regarde de manière pétrifiée.
Un seul son tremblant sort de sa bouche:
- Aïe-yeu !!!
Le patron l'emmène direct à l'hôpital. Je l'aide à le mettre à l'arrière de la voiture.

Les serveurs reviennent du mariage, souriants.
Je leur explique l'accident.
Ils hallucinent. Ils sont vidés, sans voix.
Subjugués, comme moi.
On ne sait pas quoi faire de la bête, où la mettre.
On ne va pas la laisser au milieu de la cuisine, quand même.
Aucun de nous n'ose la toucher. Le serveur la recouvre d'un drap.
Et moi je nettoie le sol pour enlever le sang avec la serpillière.
On explique à la patronne ce qui s'est passé. Elle est abasourdie.
Elle appelle son mari à plusieurs reprises, mais ça ne répond pas.
Puis on continue de s'occuper du mariage, comme prévu.
Un peu avant 1H, le patron nous appelle, dépité.
Il nous annonce la mort de Jean-Marc le cuisinier, expliquant qu'arrivé à l'hôpital, ils n'ont rien pu faire.
On reste pantois.
Il doit rester encore pour les papiers et formalités.
Les autres employés veulent attendre le patron pour le soutenir.
- Vous pouvez rentrer vous coucher, la journée a été épuisante et vous travaillez demain, a dit la patronne.
Ils rentrent chez eux.
La patronne retourne dans ses appartements et se retourne.
- Vous m'appelez, dès que vous le voyez arriver.
- Très bien.
Donc je me suis retrouvé seul avec la musique festive du mariage. Ils s'amusent, sans savoir le drame qui s'est joué sous le même toi.
Et pendant que j'écrivais ces derniers tweets, j'ai entendu du bruit dans la cuisine. J'ai repensé à la bête.
Je regarde par le hublot de la porte battante et je vois la bête debout sous la nappe blanche et rouge sang, déambuler maladroitement.
Elle se cogne un peu partout faisant valser la vaisselle ou des ustensiles.
Oh, merde, qu'est-ce que je fais ? Bon je me lance.
Je rentre dans la cuisine sans bruit. Je fais comme le patron, je prends la grosse casserole. Je dois m'y reprendre à plusieurs fois.
Une fois la bête statique, je pense à décocher une flèche avec l'arme du crime restée sur place, mais je veux pas y laisser mes empreintes.
Avec une certaine hésitation et une crainte de voir la bête se relever, je m'approche pour enfoncer un peu plus la flèche dans sa poitrine.
Faut bien l'achever, j'espère que cette fois-ci elle ne se relèvera pas.

J'attends avec impatience le retour du patron.
Voilà, il est revenu.
Malgré tout, il reprend son statut de patron sans émotion: rude et sec.
- La mariage, ça va?
- Oui, et vous?
- Ça va.
Il est rentré dans ses appartements.
Il y reste peu de temps avant de revenir en cuisine, déterminé à s'occuper du gibier.
Je le suis.
- Non, non, restez à la réception, je m'en occupe, c'est bon.
De mon poste, j'entends l'horrible moteur, assourdissant.
Par curiosité, je vais voir l'évolution de la charcute par le hublot.
Je suis horrifié par la sauvagerie. Mais qui est la bête ?
Je vous passe les détails. En gros, il le coupe en morceaux, il le vide.
Il y a beaucoup de sang et des giclures aux murs.
Il enferme les abats dans le drap: direction poubelle.
Il récupère d'autres draps pour envelopper les gros morceaux de viande…
…et les déposer dans le meuble frigorifique. Il nettoie les traces de sang comme le ferait un meurtrier après son crime.
Il se lave les mains et le visage couverts de sang. Il sort de la cuisine passe devant la réception, froid.
- Bon, c'est fait.
Je réponds d'un signe de tête, accablé.
Il rentre dans ses appartements, la lumière n'y reste pas longtemps allumée.
Le mariage continu de plus belle.
Je reste pensif, éreinté par ces événements, jusqu’à …
…ce que je vois apparaître Jean-Marc à l'extérieur, avançant bringuebalant, la flèche dans la tête, tel un mort-vivant sorti de terre.
Désolé de vous avoir laissé en plein suspense, il a fallu que je me remette un peu de cette putain de soirée avant de raconter la suite.
Donc JM est là devant moi tout recouvert de terre, il revient de je ne sais où. Vision fantomatique, état zombiesque ou cauchemar ?!
J'hallucine complètement ! Comment c'est possible ?
Le patron a dit qu'il était mort à l'hôpital.
Oh putain ! Où je suis, là ?!
JM rentre dans le sas d'entrée. Je pense à #WalkingDead.
Mais non, on est dans la réalité là. Je lui ouvre.
- Mal … tête !
- Mais je comprends pas. Qu'est-ce que tu fais là ? Le patron a dit que t'étais mort à l'hôpital !
- Pa-tron … mort … pi-tal ! ... Non !
D'un air hébété, il continu son parcours. Il rentre dans le resto pour aller en cuisine.
Je referme la porte d'entrée et je le suis.
- Attends, où tu vas ?
Il descend les escaliers pour aller dans la cave en direction de sa chambre.
- Dor-mir.
Il s'allonge sur le lit.
Ok, euh, je fais quoi là ?!
Faut que j'appelle l'hôpital. Je remonte et je réfléchis.
C'est quoi le bordel ?! Qu'est-ce qui s'est passé ?
JM était plein de terre. Le patron a fait quelque chose qu'il n'aurait pas dû.
Quand il est rentré je n'ai pas fait attention,
…mais il me semble qu'il était toute la soirée avec ses bottes en caoutchouc, déjà pleine de terre.
Il ne l'a pas emmené à l'hôpital. Mais pourquoi ? Peut-être a-t-il eu peur des représailles si la mort survenait ?
Et si je le laissais dormir là et s'éteindre tranquillement.
Mais non, je peux pas faire ça, il vit, y'a peut-être une chance de la sauver.
Au moment où je m'apprête à appeler les urgences, les flics arrivent, Stéphane et Jean-Louis.
Je leur ouvre.
- Y'a un mariage là ?
- Oui c'est ça.
J'hésite à leur parler de l'affaire.
- Vous tombez bien, il faut que je vous parle d'un truc grave.
J'attire leur curiosité et je gagne leur attention.
Je leur explique l'accident et je termine par:
- …et là, je vois revenir Jean-Marc.
- Quoi !
Ils n'en croient pas leurs oreilles
- Attends, attends, t'es en train de nous dire qu'il n'est pas mort ?
- Oui, c'est ça.
- Il est où là ? On peut le voir ?
- Oui, il est en bas dans sa chambre. Si vous pouvez l'emmener à l'hosto.
Les flics sont subjugués à la vue de la flèche plantée dans le crâne.
Ils réveillent Jean-Marc, puis le remontent.
- Donc je sais pas ce qu'a fait le patron.
- On va voir ce qu'on peut faire. Qu'ils m'ont répondu.
Ils embarquent JM direction les urgences.
Ok, soulagé qu'il soit pris en charge, je peux souffler.
Mais je me pose de nombreuses questions concernant ce qu'il adviendra du patron.
Avec toutes les images morbides que j'ai de lui dans la tête, je le trouve de plus en plus inquiétant et dangereux.
Après ça, j'avais du travail qui m'attendait. La plonge, le petit dej et le mariage qui allait se terminer.
Vers 5H, les 15 derniers fêtards se préparent à partir. Ils sont fatigués, ils ont bien bus, ils font un peu de bruit.
Une dame me demande son chemin à l'aide d'une carte posée sur le comptoir de l'accueil.
Je lui montre avec mon doigt.
Un homme juste à côté se montre captivé par mon explication regardant mon doigt avec attention.
- Il a de beaux doigts, le jeune homme.
Oh la ! Tranquille.
La femme se montre agacée.
- Laisse-le tranquille, il me montre mon chemin là.
- Je lui faisais juste un compliment.
L'homme est grand, squelettique, les joues et les yeux creux, un grand nez et des trous sur le visage trahissant une difficile puberté.
Après avoir fini avec la dame, je m'éloigne vers le bar pour y nettoyer les verres en attendant qu'ils partent.
Un autre jeune homme s'affale dans un fauteuil devant moi, les jambes écartées dans ma direction me regardant sans un mot.
Je ne fais pas attention à lui. Le grand maigre s'installe au comptoir du bar devant moi et m'observe avec admiration.
- Je peux vous poser une question ?
Je crains le pire.
- Allez-y.
Du pouce, il montre le gars du fauteuil derrière lui.
- Mon ami me laisse vous draguer à une seule condition.
C'est ce que je craignais.
Il me faut même pas 1s pour comprendre.
- Il faut que ça se fasse à trois c'est ça ?
- Vous avez deviné !
- Genre un devant, un derrière.
- Ah vous êtes habitué ?
- Pas du tout, mais je ne voyais que ça.
Je ne veux pas les offusquer.
- C'est très gentil d'avoir pensé à moi, mais ça se fera sans moi.
- Vous n'aimez pas ça ?
- Vous avez tout compris.
- Donc vous avez déjà essayé ?
- Non
- Ben, il faut essayer.
- Non
- Pourquoi ? Ce sera une première.
- Mais j'ai même pas envie, c'est pas mon truc.
Résigné, il arrête ses propositions.
- Au moins vous le prenez avec le sourire, ça fait plaisir.
- C'est mieux non ? Mais faut pas insister.
Finalement, ils finissent par partir. Je ferme la porte d'entrée et je vais débarrasser ce que je peux dans le salon.
Vers 8H30, les flics reviennent.
- Ils l'ont opéré, c'était long et compliqué mais il est hors de danger. Il aura sûrement des séquelles.
Oh, le soulagement. Je n'y croyais pas.
Le patron est réveillé, il se ramène, soucieux de voir les flics.
Ça tombe bien les flics voulaient lui parler. Ils se serrent la main.
- On peut te parler en privée ?
- Oui
Il me regarde curieusement.
Ils s'isolent dans le bureau du patron et en ressortent avant que je parte.
- Merci les gars, dit-il déboussolé, les ramenant à la sortie.
Les flics partent. Le patron retourne dans ses appartements en me lançant un nouveau regard de contrariété.
Ma relève est arrivée, me laissant partir en pleine réflexion, mal à l'aise de cette délicate situation.

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