Thread by @jjalmad

Bon bon bon. Pourquoi il est à la fois inutile et inconvenant d’inviter publiquement les femmes à déposer plainte lorsqu’elles sont victimes de violences sexistes #thread

Alors, déjà, je vais déminer le terrain.

Il ne s’agit pas de dire qu’il est inutile qu’elles le fassent, qu’il ne serait pas souhaitable qu’elles le fassent, ni même qu’il ne faut pas trouver des moyens pour les inciter à le faire.

Je pense quant à moi que la dénonciation aux autorités est importante (et je dirais même si elle n’aboutit pas à une condamnation) à titre de prévention pour d’éventuelles autres victimes, pour l’élucidation d’autres faits.

Je sais aussi que la reconnaissance des faits par l’autorité judiciaire est importante, peut-être essentielle pour certaines victimes, même si je crois également que certaines s’en balancent et si je me méfie du rôle « salvateur » que d’aucuns prêtent à la Justice.

Il s’agit surtout de dire d’une part qu’une femme victime, encore aujourd’hui, fait bien comme elle peut avec les moyens (psychiques, financiers notamment) dont elle dispose, et qu’il est ESSENTIEL de ne pas faire reposer la prévention sur leurs seules épaules.

D’autre part que répéter en boucle « ah mais pourquoi n’ont elles pas déposé plainte plus tôt ? » ou « mon conseil : allez déposer plainte plutôt que de dénoncer sur internet » est non seulement totalement à côté de la plaque de ce que vit une victime mais en plus inefficace

Parmi les victimes il y a 2 catégories : celles qui n’ont pas conscience sur le moment ni après d’avoir été victime de quelque chose d’interdit par la loi ; et celles qui savent que ce qu’elles ont vécu, c’est du viol, de l’agression sexuelle, ou du harcèlement

et qu’on peut déposer plainte pour ça.

Vous conviendrez avec moi que pour la première catégorie, celles qui ne savent pas, il est absolument inutile de répéter en boucle « allez déposer plainte ». Il manque l’étape d’avant : avoir compris qu’on est victime d’un acte interdit et qu’on peut déposer plainte.

Et cela se joue ailleurs : l’éducation sexuelle, la prévention, bref l’éducation.

ah et au passage : l’éducation, c’est pour les filles ET les garçons. Vous n’imaginez pas le nombre d’ados que j’ai vus, garçon comme fille, auteur comme victime, qui, véritablement, avaient une notion très très vague de ce qui est permis/interdit.

Vous me direz : mais attendez, à part les enfants, tout le monde sait quand même bien ce qui est autorisé/interdit ? Ah, vraiment ?

Alors test : savez vous définir précisément une agression sexuelle et un viol ?

Bon, pour ça encore, je pense que pas mal savent au moins à peu près chez les adultes.

(au passage tout de même, merci de ne pas oublier les victimes particulièrement vulnérables, souffrant de handicap mental, dont à mon avis le nombre est sous-estimé puisqu’elles ont cette particularité de ne PAS POUVOIR, bien souvent, déposer plainte).

Mais savez-vous exactement ce qu’est la définition du harcèlement sexuel, et le type de situations qui peuvent faire l’objet d’un dépôt de plainte ?

Bah si c’est le cas, vous êtes balaise. Parce que moi, magistrate depuis plus de 10 ans, je dois aller lire le texte de loi et réfléchir un peu avant de le dire.

On a vu fleurir quelques tweets venant expliquer que ce qu’il y a sous le hasthtag #balancetonporc doit donner lieu à des plaintes devant police/justice plutôt que dénonciation sur internet.

De flics notamment.

Bah c’est rigolo parce que ce j’y ai lu moi, sous ce hashtag, ce sont beaucoup de descriptions de comportements qui ne constituent aucune infraction pénale.

Des comportements sexistes, très choquants et qu’il faut éradiquer, mais qui ne sont pas une infraction pénale.

Un collègue, ou même un chef, ou même un homme politique que tu vois pour la première fois, qui te dit « t’as des gros seins j’ai envie de te baiser » ? Bah ce n’est pas une infraction.

Et ouais, car pour les porcs la loi est bien faite, vous avez droit à ONE SHOT : les propos, non accompagnés de « pression grave » doivent être « répétés » pour pouvoir constituer du harcèlement pénalement réprimé. legifrance.gouv.fr/affichCodeArti…

Le #CONNARD du métro de l’autre jour qui a donné lieu à mon thread (c’est ici :

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) vous vous souvenez ?

Bah contre lui, pas de plainte possible. Il m’a touché bout du pied et épaule. Et je serais bien incapable de dire (et encore moins de prouver) qu’il serait passé à l’acte autrement (agression sexuelle ou viol) par la suite si je n'avais pas réagi ou si personne.

Bah aucune infraction.

Tout le monde à la lecture de mon récit voit bien que c’était un GROS PORC SEXISTE POTENTIELLEMENT DANGEREUX, mais il n’y avait pas d’infraction.

Tout ça pour dire déjà qu’il n’est pas si aisé de savoir précisément ce qui peut ou ne peut pas donner lieu à condamnation. Donc à partir de là vous pourrez répéter autant que vous voulez « faut déposer plainte » sur tous les tons, ça servira à rien.

Voire vous enverrez des femmes au casse-pipe qui vont se prendre un refus de plainte avec une petite leçon du flic/gendarme en mode « ça va, c’est de la drague, LOURDE certes, mais c’est pas une infraction. », ou si plainte prise, un classement sans suite.

D’autre part, vous voyez bien que certains comportements qui ne sont pas des infractions, méritent d’être dénoncés et réfléchis collectivement.

Bon.

Passons maintenant aux femmes qui savent qu’elles ont été victime d’un acte pouvant donner lieu à condamnation, donc peuvent déposer plainte.

Donc dans cette hypothèse une femme sait qu’elle a été victime de viol, d’agression ou de harcèlement sexuel (ça marche aussi pour les violences physiques).

Elle SAIT qu’elle peut déposer plainte.

OK. Donc ça sert à quoi de lui REDIRE exactement ? Et de lui RE REDIRE, puis RE RE REDIRE encore et encore?

Pire lui « enjoindre » de déposer plainte comme le font certains ?

« allez les filles, il faut déposer plainte hein !!! »
« allez, un peu de courage ! c’est bien facile l’anonymat !!! » (coucou @BrunoMasure qui a été vraiment très bon depuis plusieurs jours sur le sujet)

Christine ANGOT avait raison sur ces points : une femme victime se « débrouille » comme elle peut, et exiger d’elle qu’elle dépose plainte c’est encore une injonction supplémentaire destructrice.

Une femme qui ne dépose pas plainte alors qu’elle savait pouvoir le faire, que croyez vous qu’elle se dit ?

« LOL rien à foutre je dépose pas plainte, j’oublie tout, je m’en tape des autres possibles victimes et je poursuis ma vie comme avant parce qu'au fond je vais bien » ?

Vous pensez qu’elle ne pèse pas des milliers de fois sa décision, imagine ses possibles conséquences dans tous les sens, en hésitant, changeant d’avis mille fois, culpabilisant de pas le faire, se disant notamment que PEUT-ETRE qu’il y a ou y aura d’autres victimes ?

Et que croyez-vous qu’elle va ressentir, quand, lorsqu’elle se met enfin à parler (sur internet, dans la presse, dans un livre ou que sais-je), on la tance vertement en lui disant que ce n’est pas le lieu ni l’endroit, ni le moment, qu’il y a la police pour ça ?

Il faut être particulièrement bouché pour ne pas comprendre, après l’affaire Beaupin, ce qui se passe sur le harcèlement de rue etc. que la parole se libère parce qu’il y a un mouvement collectif propice.

Oui, il faut du courage pour dénoncer. Simplement dénoncer : à des proches, sur internet ou que sais-je. Mais franchir la porte d’un commissariat ou d’une gendarmerie c’est encore une autre étape.

Parce que dénoncer c’est jouer sa vie sociale et familiale, son boulot, son équilibre psychique, etc.

Et en réalité, il faut aussi du courage pour ne pas dénoncer ; car ne pas dénoncer c’est aussi, mais d’une autre manière, jouer sa vie sociale et familiale, son boulot, son équilibre psychique. Mais peut-être en a-t-on une conscience moins aigüe.

Alors moi non plus je suis pas fan du balançage sauvage de noms sur internet ou ds la presse ; moi aussi je suis attachée aux dts de la défense ; moi non plus je ne prendrai pas tous ces témoignages pour argent comptant sans un minimum de vérifications et d’étayages derrière.

Mais le fait est qu’ils arrivent par dizaines. Que ce n’est pas si simple de se confronter aux questions de ses proches qui nous suivent sur twitter, de ses collègues, à la presse qui ne va pas manquer de nous interroger si on est une personne célèbre…

Donc balancer des choses, même sans citer un nom, même sans être une star, c’est pas sans conséquence ni si simple.

Mais le fait est surtout que ces récits n’arrivent à nous et n’arriveront (peut-être) à la justice que parce qu’il y a eu ce mouvement collectif libérateur et cette possible forme de récit là.

Autre truc : que faire quand on se demande « mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de dénoncer/déposer plainte » ?

Et bien ma réponse est simple : fermer sa gueule et s’informer.

Oui, car figurez vous que c’est la norme.

Seule une petite minorité de victimes dénoncent les faits très rapidement après.

Donc à partir de là, soit on considère que la grande majorité des victimes sont idiotes/bizarres/folles/mythomanes,

soit on se dit que peut-être qu’il existe des raisons, documentées et compréhensibles, qu’on ignore et qu’on pourrait peut-être se renseigner avant d’ouvrir sa GRANDE GUEULE (coucou @BrunoMasure).

Dernière chose : alors, on ne fait rien ? On se tait, on essaye pas de faire qu’il y ait plus de plaintes de déposées ?

Bah si. Mais on ne fait pas n’importe quoi à coup d’injonctions culpabilisantes.

On essaye de démonter les mécanismes qui conduisent au silence les victimes. On essaye de multiplier les dispositifs concrets d’aide et accompagnements aux victimes. On forme les professionnels. Et on sensibilise l’ensemble de la population.

#end #MêmeSiJAiEncoreDesMilliersDeTrucsADireMaisJaiDejaEteTropLongue

(et DESO BRUNO pour vos mentions <3<3<3)