Thread by @Gerome_Truc

Bon. Allez. Voici quelques éléments d’analyse sociologique à propos de #ToujoursCharlie pour ceux que ça intéresse :

1/ Il faut d’abord rappeler que le succès de la formule #JeSuisCharlie tient au départ à sa grande labilité, qui a permis d’agréger des ressentis variés. (Ce que j'expliquais à l’époque ici : lemonde.fr/societe/video/…) Il y avait beaucoup de « Charlie » dans les rues...

...en janvier 2015, mais tous ne l’étaient pas pour les mêmes raisons.

2/ On observe fréquemment, pour ne pas dire toujours, avec ce genre de slogans à succès des tentatives de « captation » pour en figer le sens. En l’espèce, pour #JeSuisCharlie...

...on a très tôt vu s’engager une véritable bataille idéologique car les attentats suscitent un phénomène d’hystérisation de la vie collective et du débat public.

3) Ce n’est pas tant que les attentats bouleversent nos convictions ou opinions politiques - dans le sens d’une...

...« droitisation », comme on le pense souvent (cf. l’analyse de Vincent Tiberj pour @Laviedesidees : laviedesidees.fr/Une-France-moi…) - qu’ils les radicalisent ou les durcissent, que l’on soit de droite, de gauche, ou du centre. Les camps se figent et il devient de plus en plus...

...difficile de défendre un point de vue nuancé, ou de se dire « sans opinion ».

4) Dans ce contexte, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un mouvement politique comme le @printempsrepub se saisisse de la date anniversaire de l’attentat contre Charlie Hebdo pour mobiliser et...

faire parler de lui en organisant une conférence #ToujoursCharlie - et rien d’étonnant non plus à voir des gens de gauche - dont un bon nombre de mes collègues sociologues ici - s’énerver à leur donner la réplique. En soi, c’est un non-événement.

5) Si on en parle, c’est uniquement car les journalistes n’ont pas grand chose d’autre à se mettre sous la dent en ce moment, et qu’ils étaient et restent, en tant que journalistes, les premiers concernés par l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, de sorte que...

...la question « Êtes-vous toujours Charlie ? » revêt pour eux un intérêt presque immédiat - bien que ce ne soit pas le cas pour tout le monde.

6) On peut en effet toujours rémunérer un institut de sondage comme l'IFOP pour poser aux gens une question qu’ils ne se posent pas..

...(cf. marianne.net/politique/sond…) - voir ce qu’en disait jadis P. Bourdieu dans « L’opinion publique n’existe pas » -, il n’en reste pas moins que la grande majorité des personnes qui étaient dans la rue en janvier 2015 ont sans doute autre chose à faire ce soir que...

...de s’intéresser aux conférences, débats TV, et autres articles sur le thème #ToujoursCharlie ? - étendre une lessive, regarder un film, dîner entre amis, faire l’amour… - sans que cela n’ôte rien à l’intensité de ce qu’ils ont ressenti il y a 3 ans.

7) Comme je l’explique à la fin de mon livre « Sidérations », il est dans la nature même des mouvements sociaux post-attentat qu’il n’en reste rien quelques mois, et a fortiori années, passés, si ce n’est le souvenir d'avoir vécu un « moment » historique. L’ « esprit » Charlie...

...ne pouvait être que fugace. C’est un fait sociologique. Ce qui n’empêche pas qu’on puisse vouloir encore l’entretenir, l’invoquer, le défendre, etc. Mais ce n’est rien d’autre que de la politique.