Et hop, nous voici partis pour un nouveau thread ! Et cette fois-ci, nous allons parler de l'évolution de l'identité visuelle de France Télévisions. Vous êtes prêts ? Déroulez donc 😉
Car oui, dès demain, l’identité visuelle du groupe ainsi que l’habillage de ses chaînes évoluent en profondeur. Ça valait le coup d’ouvrir la boite à souvenirs, non ?😉
Nous allons donc revenir sur une histoire longue de presque… 26 ans (!) De fait, vous comprendrez qu’il me sera impossible d’être exhaustif en évoquant, avec force détails, tous les habillages de toutes les chaînes de France Télévisions.
Non, je vais plutôt vous expliquer comment le groupe dans son ensemble a su se forger une identité forte et la faire évoluer au fil du temps, au gré de ses évolutions.
Et vous le verrez, l’histoire de l’identité visuelle de France Télévisions n’est pas qu’une histoire graphique : elle raconte en creux les transformations du paysage audiovisuel ainsi que l’évolution des technologies et des usages. Yep, rien que ça 😉
Revenons donc un peu en arrière. Années 80 : le paysage audiovisuel français s’ouvre au privé. Cette concurrence nouvelle plonge le service public, Antenne 2 et FR3, dans la tourmente : audiences en berne, disparités salariales et un déficit qui ne cesse de se creuser…
On dit souvent que l’union fait la force. Alors, pour faire face aux difficultés, le gouvernement décide de rapprocher les deux chaînes en les dotant d’un président commun en août 1989.
Las, les chaînes publiques ne cessent de s’enfoncer dans la crise… Le président d’Antenne 2 et FR3, Philippe Guilhaume, démissionne en décembre 1990 ; Hervé Bourges lui succède, avec la difficile mission de redresser un service public à la dérive.
Son ambition : redonner de la visibilité au service public en France et à l’international, rapprocher et remobiliser les personnels, réaffirmer la force et les valeurs du service public 💪
Vous comprenez donc qu’il s’agit avant tout d’une question d’image pour le service public. Du passé, faisons table rase : les chaînes publiques doivent se réinventer. Antenne 2 et FR3 se cherchent alors une nouvelle identité.
Le 7 septembre 1992 marque donc la renaissance du service public. Bye bye Antenne 2 et FR3, bonjour France Télévision 👋🎉
Après appel d’offre, la conception de la première identité visuelle de France Télévision est confiée à l’agence Gédéon. Elle va imaginer les logos, le système graphique ainsi que l’habillage des chaînes.
La notion de service public est très ancrée dans la culture française depuis fort longtemps et les Français y sont particulièrement attachés. J’imagine que vous avez déjà entendu parler des « valeurs » ou de « l’exigence » du service public 😉
Il faut bien comprendre qu’à l’époque, France Télévisions s’inscrit dans cette longue et prestigieuse tradition de service public mais qu’elle doit aussi s’affirmer comme une entreprise moderne, en phase avec son époque, prête à rivaliser avec la concurrence… Aïe.
Ce grand écart va pourtant trouver une traduction absolument brillante dans le système graphique grâce à l’alliance curieuse mais extrêmement efficace de deux caractères typographiques que tout oppose : le Garamond et le Franklin Gothic.
Autre exercice délicat : il faut montrer que les chaînes forment un groupe, qu’elle font partie de la famille France Télévision… sans toutefois les confondre, chaque chaîne ayant sa propre ligne éditoriale et donc une identité spécifique. Re-aïe.
Or, entre membres d’une même famille, on se ressemble sans pour autant être identiques : on partage des traits communs. Vous allez le voir, cette idée est à la base du système identitaire et graphique de France Télévision (et c’est génial, je spoile un peu)
Prenons les logos des chaînes. Ils sont différents, mais ils partagent une construction rigoureusement similaire : le mot « France » inscrit dans un rectangle, qui sert de base aux chiffres 2 et 3
L’habillage, à présent. Pour cette partie, Gédéon va trouver un principe graphique simple mais d’une efficacité folle : la partition de l’écran.
Concrètement, l’écran est partagé en deux parties verticales sur France 2 et en trois parties horizontales sur France 3. Les génériques, bandes-annonces, jingles pub seront soigneusement déclinés en suivant ce principe.
Vous avez vu ? On retrouve ce principe de découpage de l’écran, le blanc, les typos… Mais chaque chaîne parvient à affirmer son propre caractère. Semblable, mais différent 🙂
Notez le splendide travail sur la typographie, en particulier pour France 2.❤️ C’est ce qui a rendu cet habillage extrêmement vivant et créatif, en dépit d’une structure assez contraignante — pas évident en effet de travailler avec des moitiés ou des tiers d’image.
Le temps passant, les habillages des chaînes évoluent graphiquement et se singularisent… mais le principe de la partition, lui, demeure pendant dix ans. C’est vous dire sa force ! 😉
Une autre manière de faire identité à l’échelle du groupe est de s’appuyer sur des programmes communs. Imaginez : deux chaînes qui se coordonnent pour la retransmission d’un évènement, c’est l'occasion rêvée d’affirmer l’union du groupe. Ce sera le cas avec le sport.
Ainsi, dès 1992, une marque commune est déployée pour tous les programmes sportifs : Sport 2/3. Elle apparaît dans les génériques et pendant le direct (coucou Patrick Chêne 👋)
(le sport a toujours été un liant très fort entre les antennes du groupe. L’idée d’un habillage commun à toutes les chaînes pour les retransmissions sportives n’a jamais été abandonnée depuis)
Mais en août 2000, patatras. La Cinquième (la chaîne de la culture et de la connaissance lancée en 1994) intègre le groupe France Télévision…
Or, on l’a vu, toute l’identité visuelle de 1992 repose sur deux chaînes seulement. Dès lors, l’arrivée d'une nouvelle chaîne dans le groupe rend le principe de cette identité caduque. Aïe.
Du reste, le groupe veut anticiper ses développements futurs. Il le sait, son offre est appelée à s’élargir : l’arrivée de la télévision numérique (2005) lui apportera d’autres chaînes. Du reste, le web se développe et lui apportera certainement aussi bien des opportunités…
Le besoin d’une nouvelle identité se fait sentir. Une identité qui pourrait évoluer au fur et à mesure que le groupe se développe, qui sait ? 🙂
Le groupe se cherche donc une nouvelle identité visuelle. Un nouvel appel d’offre est lancé et, comme en 1992, c’est la proposition de Gédéon qui est finalement choisie.
L’approche est cette fois bien différente : ce ne sont plus les chaînes qui font l’identité du groupe, mais un groupe qui propose une offre plurielle de chaînes… offre qui est amenée à s’agrandir, qui plus est.
L’agence se met donc en quête d’un signe graphique qui puisse représenter le groupe. Gordon planche avec Clément Vauchez sur cette nouvelle identité. L’idée du nouveau logo tient quasiment de la découverte. Il raconte cette anecdote :
(eh oui, la recherche créative est un processus complexe et incertain. Même si rien n’est dû au hasard, la bonne idée arrive parfois de manière totalement inattendue 😉)
Ainsi naquit le logo de France Télévisions : quatre écrans en perspective et en mouvement. Le logo ne fait plus apparaître les chaînes du groupe, mais symbolise une offre plurielle.
Et puis cette identité est évolutive : les écrans peuvent être déclinés autant que nécessaire pour former les logos des chaînes. C’est la naissance des fameux « trapèzes »
Une nouvelle typographie est également définie pour tout le groupe : l’Heldustry. Comme son nom l’indique, elle reprend le dessin de l’Helvetica avec des arrondis moins prononcés, un aspect plus industriel.
Du côté de l’antenne, on s’émancipe : fini le système commun, place à un habillage spécifique par chaîne… Mais comment alors faire émerger un esprit de groupe ?
Les seuls éléments communs aux chaînes sont ces courts jingles précédant un sponsor ou un programme. Des micro-éléments… mais diffusés des dizaines de fois par jour, suffisamment pour créer une forme de continuité entre les chaînes et imprégner les mémoires. Efficace 👌
Mais le paysage audiovisuel évolue et la concurrence se fait de plus en plus rude. L’arrivée de la télévision numérique en 2005 est un bouleversement : le téléspectateur avait le choix entre six chaînes, il peut maintenant en regarder… dix-sept ! 😵
Dans ce contexte, il devient difficile pour les chaînes historiques d’exister au milieu d’une offre audiovisuelle devenue pléthorique…
Vous vous souvenez de 1992, et cette idée qu’on était plus fort quand on se rassemblait ? Eh bien on remet ça. Avec un objectif : réaffirmer la puissance du groupe et sa place dans le paysage audiovisuel.
Le groupe a donc besoin de réaffirmer son identité. Cette fois encore, c’est l’agence Gédéon qui est à la manœuvre.
En avril 2008, le logo du groupe connaît une légère évolution : un cinquième trapèze est ajouté, tandis que l’ensemble gagne en couleur et en relief
(bon ça, c’est la petite touche personnelle du président de l’époque, Patrick de Carolis. Cet acte fut, en quelque sorte, une façon pour lui de poser son empreinte sur l’identité visuelle du groupe. Un geste très politique)
D’ailleurs, vous avez remarqué ? Chaque trapèze correspond maintenant à une chaîne du groupe. Elles apparaissent dans le logo du groupe… comme en 1992 !
Mais c’est à l’antenne que les changements sont les plus visibles : l’identité du groupe, plutôt en retrait jusque là, est réaffirmée avec force.
Le concept ? Le groupe ouvre sur ses chaînes. Cette idée va trouver une traduction visuelle quasi littérale dans cette petite animation que l’on retrouve désormais dans tout l’habillage : la « tournette »
Comme vous le voyez, le logo du groupe apparaît en premier. Puis, il pivote pour « amener » le logo de la chaîne. Le groupe d’abord, les chaînes ensuite 😉
Les chaînes sont mises au pas, plus rien ne dépasse : sur toutes les antennes, dans tous les éléments de l’habillage, le logo de la chaîne est strictement positionné au centre. Un tel niveau de cohérence est inédit sur les chaînes publiques.
Mais d’autres chantiers se dessinent déjà. Car nous délaissons de plus en plus nos écrans de télévision pour ceux de nos smartphones ; s’informer ou se divertir se fait via les réseaux sociaux ou les plateformes vidéo.
Le groupe est à un tournant de son histoire : il devient urgent pour lui de développer son offre numérique. Et cela ne sera pas, vous vous en doutez, sans incidence sur l’identité de marque du groupe… 😉
Nous arrivons au début des années 2010, et le groupe fait feu de tout bois : il lance un portail d’information en ligne, déploie une refonte de sa plateforme de VOD (Pluzz) et renforce son offre numérique sur le sport. Bim.
Bien sûr, le cœur de métier de France Télévisions reste l’audiovisuel. Mais cette évolution n’a rien d’anodin et je voudrais vraiment insister sur le changement de logique qui s’opère et qui est absolument fondamental pour la suite.
Auparavant, France Télévisions se présentait comme un groupe composé de plusieurs chaînes de télé proposant une assortiment de contenus. Désormais, c’est le groupe lui-même qui propose ces contenus, réunis en offres thématiques (information, sport…)
Et ainsi naissent les marques francetvpluzz, francetvinfo et francetvsport. Notez que le mot « télévision » n’apparaît plus en entier, contracté en deux lettres. Comme un symbole.
Mais imaginez un peu : votre public vous suit à la fois devant sa télévision, sur son smartphone, devant son ordinateur… Pour que l’on vous reconnaisse, votre marque doit être un peu partout. Transversale, pour utiliser un mot un peu savant.
Ainsi, les retransmissions sportives arborent un habillage avec le logo francetvsport. Quant à votre présentateur du journal, il vous invite à aller voir ce qu’il se passe du côté de la plateforme francetvinfo. C’est ça, la transversalité 🙂
Cette logique de contenus va prendre de plus en plus d’importance. Car c’est un fait, on regarde de moins en moins une chaîne de télévision dans sa continuité, on préfère regarder ses programmes préférés à la carte (hello Netflix, Youtube et cie 👋)
Une évolution des usages qui conduit le groupe à lancer, en mai 2017, une plateforme unique qui rassemble tous les contenus du groupe et remplace purement et simplement les sites de ses différentes chaînes. Le symbole est là, encore une fois 😉
… et tout aussi symboliquement, c’est cette plateforme qui amorce un nouveau changement d’identité visuelle pour France Télévisions.
En mai 2017, une toute nouvelle marque fait donc son apparition : france·tv
Depuis 1992, l’identité de France Télévisions s’est construite d’abord sur la logique d’un groupe de chaîne. Mais cela ne peut plus suffire. Elle maintenant doit pouvoir s’adapter sur tous les écrans.
Penchons-nous un peu sur ce logo. Vous avez vu ? Un point sépare maintenant les mots « france » et « tv ». En fait, il joue un rôle central dans la nouvelle identité de marque de France Télévisions puisqu’il fait la liaison entre les différentes entités du groupe.
L’identité gagne en fluidité. Le contraste avec 1992 ou 2002 est saisissant : les logos ne sont plus des entités figées mais peuvent être modulés autant que nécessaire, au gré des utilisations et des supports.
Et c’est peut-être ça, après tout, l’identité visuelle du futur : une identité qui peut se déployer et se rétracter en fonction de la taille de son support. Vous le voyez, cette nouvelle identité ouvre une piste de réflexion intéressante 😉
Il reste maintenant à voir cette identité vivre à l’antenne et bien au delà… Mais pour cela, il faudra attendre demain 😘
Et nous voilà arrivé au terme de ce thread-fleuve, j’espère sincèrement que cette histoire vous a plu ! Il y aurait, bien sûr, encore tellement de choses à dire sur le sujet… Mais c'est déjà pas mal, je crois 🙂
(je précise, pour être tout-à-fait clair, que les vidéos de ce thread sont des reproductions, il ne s'agit pas de maquettes ou de documents de travail)
Si vous voulez en savoir plus sur la première identité de France Télévision, je vous renvoie tout de suite vers cet article que publié en 2012 sur le blog @lenodal : blog.lenodal.com/index.php?/arc…
Une référence très intéressante aussi : le mémoire de @Gubalda, « France Télévisions, histoire d’habillage », qui me fut très utile pour ce thread. Une véritable mine d’or, avec les témoignages des acteurs de l’époque 👌
(je n'ai hélas pas de lien à vous proposer mais vous pourrez certainement demander à Julien un exemplaire du PDF)
Et puis, si l’histoire de la télévision vous intéresse, le documentaire « Télévision, histoires secrètes » (1996), mis en ligne par le mirifique @azerty774, saura vous combler 🙂
Et bien évidemment, hommage aux agences et aux équipes créatives qui ont façonné avec talent l’identité de France Télévisions au cours de ces 26 années, et qui continuent de la faire vivre aujourd'hui. Respect, vraiment 🙂
Oh et, si vous avez des questions, je suis naturellement prêt à y répondre 😀
• • •
Missing some Tweet in this thread? You can try to
force a refresh
Vous l'avez peut-être vu, Arte Journal s'est doté d'un tout nouvel habillage samedi dernier, qui rompt nettement avec les codes des habillages info traditionnels #habillage#ArteJournal
J'ai envie de dire : « Arte est de retour ». Parce que oui, ça faisait longtemps qu'Arte ne nous avait pas proposé un générique info qui casse un peu les codes, justement.
Le précédent générique reprenait les marottes des habillages infos : une mappemonde, des ondes et une musique solennelle. Rien que de très ordinaire, hormis un logo « labyrinthique » assez bien vu medias.lenodal.com/video.php?id=1…
On parlait hier du plan de métro produit par Île-de-France Mobilités et c'est, au fond, un cas d'école intéressant. Car en reprenant la forme carrée du logo d'IDFM, il nous montre ce que devient la cartographie : un outil politique.
Imaginez un territoire que l'on déforme, dont on change les dimensions, les proportions, la physionomie en somme pour le faire coïncider avec les contours d'un logo, donc d'une marque. Symboliquement, c'est assez fort.
Des tentatives de géométriser Paris, il y en a eu. On pourrait évoquer cette tentative de plan de métro circulaire, conçu par Constantine Konovalov konbini.com/fr/tendances-2…
Je vais vous raconter l’histoire du piratage télévisuel le plus mystérieux de tous les temps. Ou comment, un soir de novembre 1987, un étrange personnage fit irruption sur les ondes de deux chaînes locales de Chicago… Déroulez donc 😉 #thread
Mais avant d’évoquer plus en détail cette étrange affaire, je dois vous présenter celui qui en est devenu, un peu malgré lui, le protagoniste. Son nom est Max Headroom.
Le public découvre Max Headroom en 1985, lorsqu’il devient l’animateur d’une émission musicale sur la télévision britannique. Il est alors présenté comme le « premier présentateur télé conçu par ordinateur »
Bon, voilà plusieurs mois que je lis, ici et là, que la nouvelle identité de France Télévisions se résume à « un ajout de points devant des chiffres »… Du coup, je voulais vous montrer, à l'aide de qq documents, le travail que représente un tel rebranding #habillage#francetv
En effet, heureuse coïncidence, il se trouve que le service presse du groupe a publié des documents particulièrement intéressants pour comprendre l’élaboration de la nouvelle identité visuelle du groupe : les chartes graphiques.
Une charte graphique, kesako ? C’est un document qui définit l’ensemble des signes d’une identité visuelle ainsi que les règles d’utilisation de ces signes. En gros, une charte graphique appliquée à la lettre conduit à une identité homogène donc reconnue par le public 👌
Hop, c’est parti pour un thread sur la signalétique originale du #RER, mise en service il y a 40 ans. Tellement banale et insignifiante en apparence, et pourtant… Je vous l’explique avec quelques animations faites maison, déroulez donc 😉
Jusque dans les années 60, le réseau de transport s’aventure peu en dehors de Paris… Sauf qu’on vit de plus en plus nombreux à Créteil, Cergy ou Bondy. Et qu’on peut habiter à Noisy-le-Grand et devoir aller travailler à la Défense. La région parisienne s’urbanise, en somme.
En gros, à cette époque, le métro ne fait que de timides incursions en banlieue… Pour le reste, les « lignes régionales » s’arrêtent dans les grandes gares parisiennes, obligeant les passagers à de laborieuses correspondances. Not cool.