Thread by @vbenard

#RoadThread N°3 : Une route neuve, combien ça coûte ? Parlons gros sous.

On ne fabrique plus beaucoup de routes neuves en France, le pays étant déjà largement équipé. Mais régulièrement, les différents propriétaires de réseau doivent l’améliorer…

...Comme le ferait un propriétaire de réseau de télécoms ou de distribution d’eau. La population augmente, les entreprises changent de nature, leur distribution sur le territoire change…

.. La demande pour créer des déviations de bourgs trop embouteillés reste élevée, tant de la part des automobilistes que des habitants

Bref, les maîtres d’ouvrage publics doivent, régulièrement, lancer des projets d’amélioration de leur réseau routier.

...Déviations de bourgs, passages à 2X2 voies, ou améliorations ponctuelles du réseau telles que carrefours giratoires… Combien tout cela coûte-t-il ?

Lors du passage à l’Euro, on estimait qu’une route à 2 voies simple, en terrain plat, sans passage de grosse rivière, coûtait 1,5M € du kilomètre, soit environ 200-250€ du m2.

Aujourd’hui, la note serait un peu plus salée, à 2M. La raison de l’augmentation tient dans l’inflation, non pas monétaire, mais réglementaire, et notamment environnementale.

Notamment, les petits ouvrages d’art demandés par le législateur pour « maintenir les continuités écologiques » occasionnent des surcoûts.

« Continuités écologiques » ? Oui, la route tend à couper des lignes de trafic animalier, entre lieux de chasse, lieux de reproduction, etc…

Et donc le législateur a souhaité que sur les routes neuves, des passages sous les routes adaptés à tous types d’animaux soient aménagés: crapauducs, loutreducs, boviducs…

Et donc là ou une simple buse métallique ou béton suffisait pour franchir un ruisseau, un petit pont en béton se révèle nécessaire. Et qui dit « petit ouvrage d’art » dit « petites pépettes »

Ce n'est rien à coté d'ouvrages d'arts plus conséquents. En effet, combien coûte un pont courant ? En gros, en dessous de 2 à 300 mètres de long, avec une hauteur de pile « raisonnable », comptez environ 2000€ par mètre carré de tablier de pont.

En gros, un pont de 100m de long, route de 7m de large, deux trottoirs de 1,50 chacun: 2 millions. Si le sol n'est pas trop pourri, si la zone n'est pas sismique, enfin, vous voyez l'ordre de grandeur.

Bien sûr, un ouvrage d’art exceptionnel type Viaduc de Millau, coûtera plus cher. Ledit viaduc (entièrement financé sur fonds privés, sauf les abords) a coûté environ 5000€ par m2 de tablier. (400 millions, 2,5 km, tablier de 32m de large)

Bref, vous avez compris: dès qu’un ouvrage d’art est nécessaire, le coût au m2 augmente. Voilà pourquoi les routes en relief vallonné voient leurs coûts monter très vite.

Quid des autoroutes et voies express ? Une route à 2X2 voies en rase campagne avec un échangeur tous les 10 km coûtera environ 5-6 M€ du km en terrain plat sans difficulté particulière.

A comparer avec 20-25 millions au km pour une ligne de TGV en plaine (coûts constatés pour la LGV Tours Bordeaux).

Mais la "route des tamarins", sur l’île de la Réunion, sur les hauteurs de Saint Paul à Saint Louis, qui franchit 120 ravines et compte 30 ouvrages d’art « non courants » (comprendre: “des gros ponts”)...

… a coûté 1,1 milliards pour 34 kilomètres. Soit 32 millions du kilomètre. Ah oui, dès que le relief est de la partie, les coûts s'envolent !

Et sur la même île, la future « route du littoral » construite sur l’océan devrait exploser tous les records. On parle de 1.6 milliards pour 12,5 km, soit 130 millions du km.

La route est (enfin, sera) l’assemblage d’un gigantesque pont de 5,4 km dont les piles (chacune pèse 5000 tonnes) sont posées dans l’océan indien, et…

… d’une non moins gigantesque digue plus classique, qui remplit littéralement l’océan, sur l’autre moitié…

Mais le coût prévisionnel au m2 n’est “que” de 3500 €, ce qui me laisse craindre que le coût final réel soit bien plus élevé.

Tous les ratios qui précèdent ne considèrent que les travaux. Ne sont pas compris toutes les études préalables et l’achat des terrains. Ce dernier poste varie évidemment grandement en fonction du lieu de passage de la route...

… Le terrain urbain coûte bien plus cher que du champ de patates en rase campagne. Pour la future route du littoral de La Réunion, ce poste est fort heureusement égal à zéro.

Cette route va battre le record de la route la plus chère de l’histoire de France, jusqu’ici détenu par le périphérique parisien. Convertis en Euros du jour, celui ci a coûté 1.8 Milliards pour 35km, soit environ 50 millions du km…

Non seulement les travaux en milieu urbain ne furent pas simples, mais les expropriations furent très coûteuses. Et il est probable que s’il fallait construire le périph’ aujourd’hui, il coûterait bien plus cher.

Mais avant de construire la route, il y a une phase, de plus en plus longue, d’études préalables. Autrefois (dans les années 50-60), les pouvoirs publics ne se préoccupaient guère de l’avis du petit peuple, et ces études étaient relativement courtes.

Non, ce n'était pas une bonne chose. Ce sont les mêmes décideurs qui, avec tout aussi peu de concertation, ont bâti plus de 1000 "nouveaux quartiers" dont la réussite sur le long terme n'apparait pas évidente au premier abord. Mais revenons aux routes.

Les temps ont changé. Aujourd’hui, comptez 10 ans minimum entre la décision de construire une route entre un point A et B, et les premiers coups de pioche. Cela constitue sûrement un progrès …

… Par rapport au temps où l’état décidait unilatéralement, mais parfois, on se demande si le législateur n’est pas allé trop loin dans le sens inverse.

"Mais pourquoi il vous faut autant de temps pour construire un truc aussi techniquement trivial qu'une putain de route, bande de fainéants de la DDE ?" (question fréquemment posée)

A part que les DDE n'existent plus, voilà pourquoi.
Il faut d’abord déterminer plusieurs « fuseaux » de passage possibles. Puis, pour chaque fuseau, analyser toutes les retombées environnementales de la route.

Et plus question de bâcler le travail: toute route génère (au moins) une association qui s’oppose à la route...,

… laquelle n’hésitera pas à faire valoir toute négligence en matière d’étude environnementales devant un tribunal pour faire interrompre le projet, avec de bonnes chances de gagner,

Ainsi, la construction de l’autoroute Tours Le Mans fut interrompue entre 1996 et 2002 (6 ans !) parce que le concepteur avait négligé les mesures de protection….

… d’un scarabée dit « pique prune », espèce protégée, allez savoir pourquoi. La société d’autoroute aurait dû soit modifier son tracé, soit prévoir des mesures de compensation pour permettre le déplacement de la colonie de pique prunes…

… Ce qui, soit dit en passant, est idiot: ledit scarabée a survécu à des siècles de déforestation de nos campagnes et à l’agriculture intensive. Il se serait adapté comme un grand !

Mais bon, la loi est la loi. Et le législateur a encore renforcé les contraintes environnementales depuis le début de la présente décennie, par rapport à ce qu’elles étaient à l’époque. Le boulot des concepteurs routiers est devenu infernal.

(Il faut se mettre dans la peau du monsieur.madame qui commence un projet et qui sait que, s'il veut que sa carrière évolue, il devra l'abandonner en cours, car trop long. Ce n'est pas motivant pour deux sous. Mais je digresse).

Ensuite, il faut concerter le public concerné. Avec des partisans de la route et des opposants, ou encore des partisans « mais pas trop près de chez eux ».

Et arriver déterminer le tracé définitif à partir de cette concertation. Et pour obtenir un "certain niveau de consensus", il faut parfois beaucoup de temps.

Puis obtenir une déclaration d’utilité publique, afin de pouvoir acheter les terrains y compris par contrainte (expropriation si nécessaire).

Il y aurait beaucoup à dire sur les procédures d’utilité publique et d’expropriation, mais bon, pas cette fois ci.

Naturellement, à chaque phase, il y a risque de recours contre le projet de la part des opposants. Certains recours sont suspensifs, d’autre pas. Cf l'histoire de ce satané pique prune...

Oh, j’ai failli oublier: il faut organiser un remembrement des parcelles agricoles coupées en 2 par la route. Compter 18 mois (bien sûr, cela peut se mener en parallèle d’autres tâches, mais ça prend du temps…) du fait des étapes légales à respecter.

Et je vous passe deux trois détails pour arriver enfin à l'appel d'offre de travaux. Pour un gros chantier, rarement moins de 18 mois, et parfois plus...

Parce que la trésorerie du maître d'ouvrage lui commande d'étaler les travaux sur une période plus longue...

Et voilà comment entre la décision de construire une route et sa réalisation, au moins 10 ans s’écoulent, et plutôt 15 de nos jours. Et ça, c’est quand il n’y a pas de ZAD…

Bien sûr, entre le début et la fin du projet, le législateur ajoute souvent des contraintes. Et les desiderata des personnes concertées ajoutent aux prix initialement prévu, et les prix des fournitures changent. Tout cela est source de dépassement de devis…

… Plus encore que les imprévus techniques (surtout liés aux mauvaises surprises géologiques pas toujours anticipables sur toute la longueur d’un projet).

Ainsi, la route des Tamarins ci avant évoquée avait été estimée initialement aux alentours de 600 millions, mais au final, l'addition a dépassé le milliard.

Ces dépassements sont en général encore plus élevés pour les infrastructures ferroviaires, mais ce thread est déjà trop long… Je traiterais un autre jour le sujet "pourquoi les infrastructures voient toujours leur coût prévisionnel déraper".

Autre question: Ces montants interrogent évidemment le financement de ces projets, mais ce sera pour une autre fois… Tout comme le thread sur les giratoires, que, j’en suis sûr, vous attendez avec impatience. #Fin

Bonus twitt: une vidéo accélérée du chantier (impressionnant) de la nouvelle route du littoral, en 4'. Qui a dit que la route, ce n'est pas technologique ?

Si vous avez aimé ce thread, les précédents sont accessibles ici

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