Je vais vous raconter l’histoire du piratage télévisuel le plus mystérieux de tous les temps. Ou comment, un soir de novembre 1987, un étrange personnage fit irruption sur les ondes de deux chaînes locales de Chicago… Déroulez donc 😉 #thread
Mais avant d’évoquer plus en détail cette étrange affaire, je dois vous présenter celui qui en est devenu, un peu malgré lui, le protagoniste. Son nom est Max Headroom.
Le public découvre Max Headroom en 1985, lorsqu’il devient l’animateur d’une émission musicale sur la télévision britannique. Il est alors présenté comme le « premier présentateur télé conçu par ordinateur »
Curieux personnage que cet animateur un brin mégalomane, presque hors de contrôle, qui émaille le programme de ses commentaires sarcastiques et prend ouvertement à partie le public ou l’équipe de l’émission…
Max Headroom, c'est aussi cette gueule étrange et tellement reconnaissable, avec son costard en plastique, son visage anguleux, sa voix robotique…
Max gagne peu à peu en notoriété. Si bien qu’il devient le héros d’une série télévisée, diffusée à partir de mars 1987 sur le réseau américain ABC.
Cette série imagine un futur où la télévision impose ses règles à l’ensemble de la société — à tel point qu’il est interdit de l’éteindre !
Dans ce système, un rebelle : Edison Carter, journaliste d'investigation pour Network 23, une chaîne dont il dénonce régulièrement les pratiques assez douteuses…
Carter est finalement assassiné par ses employeurs, qui téléchargent son cerveau sur le réseau informatique de la chaîne : ils donnent alors naissance à Max Headroom, le double numérique de Carter.
Sauf que Max Headroom a gardé l’esprit d’indiscipline de Carter… Et il fait parfois intrusion sur l’antenne de Network 23 pour faire part de ses réflexions sarcastiques sur la télévision.
La série se présente donc comme une parodie acerbe et sombre du monde des médias, assez typique du genre cyberpunk. Et si elle s’arrête au bout de deux (courtes) saisons, elle aura érigé Max Headroom au rang de personnage culte.
… au point qu'il devienne l’égérie du New Coke, la nouvelle formule du Coca-Cola lancée en 1985 !
(le personnage résolument subversif qu’était Max Headroom est donc récupéré par une marque de soda, qui en fait dans sa campagne une sorte d’évangéliste du New Coke, un guide suprême pour ses « Cokeologists »… Délicieusement ironique 🙃)
Bien. Les présentations étant faites, revenons maintenant sur ce fameux incident… Nous sommes donc le soir du 22 novembre 1987.
Il est 21h14 quand Dan Roan déroule tranquillement son journal des sports sur WGN-TV, une chaîne locale de Chicago. Il fait le récit d’un match de football américain quand soudain…
Pendant quelques secondes, un individu en costume arborant un masque de Max Headroom fait irruption sur les ondes. La scène aussi impromptue que terrifiante.
Sur le moment, personne ne comprend ce qu’il se passe. Les techniciens parviennent à reprendre la main en régie et à rétablir le programme.
De retour à l’antenne, Dan Roan semble incrédule : « Si vous vous demandez ce qu'il vient de se passer… eh bien moi aussi ».
Le personnel de la chaîne soupçonne d’abord un coup venu de l’intérieur. Des techniciens se mettent alors à fouiller les locaux de la chaîne, en quête du mystérieux pirate…
Deux heures passent. WTTW-TV, une autre chaîne locale de Chicago, diffuse un épisode de Doctor Who quand l’image se brouille à nouveau…
Cette fois-ci, l’incident dure plus longtemps et l’on distingue quelques paroles. Une minute et 22 secondes de délire audiovisuel, à mi-chemin entre performance et blague de collégien #WTF
Dans ce qui ressemble à un grand n’importe quoi, le pirate glisse toutefois quelques clins d’œil. Il fait ainsi référence à Chuck Swirsky (alors journaliste sportif à WGN) ou à Clutch Cargo (dessin animé également diffusé sur WGN)
« I just made a giant masterpiece for all the greatest world newspaper nerds » s’exclame le pirate : c’est aussi une allusion directe à WGN, dont l’acronyme signifie « World's Greatest Newspaper » (en toute simplicité)
… Sans oublier la canette de Coca-Cola qu’il balance en hurlant « Catch the wave ! » 😉
Bon, vous l’imaginez, ces deux incidents ne sont pas franchement passés inaperçus. Le soir même, WGN et WTTW sont assaillis d’appels téléphoniques de téléspectateurs, partagés entre inquiétude et curiosité.
Le lendemain, de nombreux médias nationaux et locaux font le récit de cette bien étrange soirée…
Le piratage fait également les gros titres des journaux de WGN et WTTW — qui, certes, en ont été les victimes mais ça n’en fait pas moins une bonne histoire à raconter, après tout… 💁♂️
L’incident a amusé de nombreux téléspectateurs… Un peu moins les autorités américaines, qui prennent l’affaire très au sérieux.
C’est que la télévision est devenu un média de masse, capable de toucher une large partie de la population. Dès lors, on redoute que le piratage de signal ne devienne une nouvelle forme d’action prisée — qu'elle soit l'œuvre de petits plaisantins ou… de terroristes.
Dans l’affaire Max Headroom, le coupable risquait tout de même 100 000 $ d’amende et un an de prison. Des agents du FBI et de la FCC, l’organisme de régulation des communications aux États-Unis s’occupent du dossier. L’enquête démarre.
Comment le pirate a t-il pu agir ? Il faut savoir que les chaînes envoient leur signal depuis leurs studios vers un émetteur, qui le distribue ensuite à tous les foyers.
Pour les enquêteurs, l’affaire est entendue : le pirate était situé quelque part entre les studios des deux chaînes et leurs émetteurs — plutôt en hauteur, sur un toit d’immeuble par exemple.
De là, il pouvait envoyer un signal plus puissant que celui des chaînes pour pouvoir être relayé par les émetteurs 👌
Le piratage n’avait rien d’une entreprise insurmontable : il n’était pas nécessaire d’avoir un équipement imposant, ni même coûteux. Après, il fallait évidemment avoir un minimum de connaissances techniques. Idéalement, être un professionnel de la télévision.
Or, rappelez-vous : le second piratage était truffé de références à WGN. Voilà pourquoi les enquêteurs ont pensé que c’était un individu proche de WGN-TV qui avait pu faire le coup. S’agissait-il d’un ancien employé en colère ? D’un candidat malheureux à un poste ?
Les enquêteurs ont tenté d’identifier le pirate, ainsi que son complice qui apparaît à la fin de la vidéo : ça n’a rien donné.
Ils ont également analysé l’arrière-plan de la vidéo, qui ressemblait à un rideau de fer à l’entrée d’un hangar : là non plus, pas de résultats.
L’enquête s’enlise. Et, pour tout dire, elle est loin d’être dans les priorités du FBI… Après tout, l’affaire n’est pas d’une gravité extrême, il n'y a pas eu mort d'homme et les dommages causés sont relativement mineurs.
Si bien que trente années ont passé depuis ce fameux incident… Et le mystère demeure.
Car c’est peut-être ce qui est le plus fascinant dans cette histoire : on ne connaît toujours pas l’identité du pirate, ni même ses motivations exactes 🤷♂️
On peut imaginer qu’il y avait une forme de défi derrière ce geste : l’idée folle qu’un simple téléspectateur puisse prendre, pour quelques instants, le contrôle d’une chaîne de télévision.
(après tout, Andy Warhol avait déjà prédit que chacun pourrait, dans le futur, accéder à son « quart d’heure de célébrité ». Rappelons quand même qu'à l'époque, la télé-réalité ou YouTube n’étaient encore que de lointains mirages…)
Peut-on, toutefois, réduire cet acte à une simple blague potache ? Ce serait certainement injuste.
Convoquer la figure de Max Headroom et user de ses méthodes, c’était aussi, peut-être, faire appel à un certain esprit de subversion 😉
Certes, la figure du hacker (que le Web a contribué à populariser) était, elle aussi, encore lointaine. Mais il n'empêche, l’idée était bien là : s’emparer d’un média de masse pour interpeller, bousculer le public.
Et c’est justement Internet qui a parachevé le mythe. Le vrai-faux Max Headroom pensait peut-être réaliser un simple happening, un coup d’éclat d’un soir…
Il ne se doutait peut-être pas que, trente ans plus tard, on jouerait et on rejouerait les images de son piratage sur YouTube, qu'une nouvelle génération découvrirait son geste, que certains internautes continueraient d’enquêter sur les forums…
On se souvient qu’un soir de 1987, un hacker s’est introduit sur les ondes de deux chaînes de télévision. Et, pour une fois, c’est la réalité qui a rejoint la fiction. #TheEnd
Et bien voilà, on arrive au terme de ce thread, merci à vous de l'avoir lu 🙌
Et maintenant que vous avez les images bien flippantes de ce piratage en tête… BONNE NUIT, HAHAHAHAHAHA (désolé)
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Vous l'avez peut-être vu, Arte Journal s'est doté d'un tout nouvel habillage samedi dernier, qui rompt nettement avec les codes des habillages info traditionnels #habillage#ArteJournal
J'ai envie de dire : « Arte est de retour ». Parce que oui, ça faisait longtemps qu'Arte ne nous avait pas proposé un générique info qui casse un peu les codes, justement.
Le précédent générique reprenait les marottes des habillages infos : une mappemonde, des ondes et une musique solennelle. Rien que de très ordinaire, hormis un logo « labyrinthique » assez bien vu medias.lenodal.com/video.php?id=1…
On parlait hier du plan de métro produit par Île-de-France Mobilités et c'est, au fond, un cas d'école intéressant. Car en reprenant la forme carrée du logo d'IDFM, il nous montre ce que devient la cartographie : un outil politique.
Imaginez un territoire que l'on déforme, dont on change les dimensions, les proportions, la physionomie en somme pour le faire coïncider avec les contours d'un logo, donc d'une marque. Symboliquement, c'est assez fort.
Des tentatives de géométriser Paris, il y en a eu. On pourrait évoquer cette tentative de plan de métro circulaire, conçu par Constantine Konovalov konbini.com/fr/tendances-2…
Bon, voilà plusieurs mois que je lis, ici et là, que la nouvelle identité de France Télévisions se résume à « un ajout de points devant des chiffres »… Du coup, je voulais vous montrer, à l'aide de qq documents, le travail que représente un tel rebranding #habillage#francetv
En effet, heureuse coïncidence, il se trouve que le service presse du groupe a publié des documents particulièrement intéressants pour comprendre l’élaboration de la nouvelle identité visuelle du groupe : les chartes graphiques.
Une charte graphique, kesako ? C’est un document qui définit l’ensemble des signes d’une identité visuelle ainsi que les règles d’utilisation de ces signes. En gros, une charte graphique appliquée à la lettre conduit à une identité homogène donc reconnue par le public 👌
Et hop, nous voici partis pour un nouveau thread ! Et cette fois-ci, nous allons parler de l'évolution de l'identité visuelle de France Télévisions. Vous êtes prêts ? Déroulez donc 😉
Car oui, dès demain, l’identité visuelle du groupe ainsi que l’habillage de ses chaînes évoluent en profondeur. Ça valait le coup d’ouvrir la boite à souvenirs, non ?😉
Nous allons donc revenir sur une histoire longue de presque… 26 ans (!) De fait, vous comprendrez qu’il me sera impossible d’être exhaustif en évoquant, avec force détails, tous les habillages de toutes les chaînes de France Télévisions.
Hop, c’est parti pour un thread sur la signalétique originale du #RER, mise en service il y a 40 ans. Tellement banale et insignifiante en apparence, et pourtant… Je vous l’explique avec quelques animations faites maison, déroulez donc 😉
Jusque dans les années 60, le réseau de transport s’aventure peu en dehors de Paris… Sauf qu’on vit de plus en plus nombreux à Créteil, Cergy ou Bondy. Et qu’on peut habiter à Noisy-le-Grand et devoir aller travailler à la Défense. La région parisienne s’urbanise, en somme.
En gros, à cette époque, le métro ne fait que de timides incursions en banlieue… Pour le reste, les « lignes régionales » s’arrêtent dans les grandes gares parisiennes, obligeant les passagers à de laborieuses correspondances. Not cool.