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Apr 7, 2018 29 tweets 8 min read Twitter logo Read on Twitter
Les 3èmes jeux olympiques de l’ère moderne, organisés en 1904 à St. Louis en même temps que l’exposition universelle, resteront dans l’histoire comme les olympiades les plus bordéliques jamais organisées. #Thread
Comme aller à St. Louis, à l’époque, c’est à la fois long et cher, il n’y que 12 nations seulement qui décident d’y participer. Du coup, sur les 630 athlètes, 523 sont américains.

Évidemment, les États-Unis raflent pas mal médailles.
Mais là où ces jeux olympiques vont atteindre des sommets, c’est lors du marathon masculin, une grande boucle de 39.99 km dans St. Louis et ses environs avec sept belles collines bien raides sur le parcours.

Mais les problèmes sont ailleurs…
Déjà, les organisateurs ont l’idée saugrenue de donner le départ vers 15h. En soi, c’est stupide mais comme la course a lieu un 30 août, c’est de la folie furieuse : il fait 32 degrés à l’ombre, il n’y a pas un souffle d’air et le taux d’humidité est quasi tropical.
Ensuite, ces abrutis ont organisé ça sur des routes poussiéreuses et n’ont rien trouvé de mieux que de faire rouler des voitures officielles devant les coureurs. Résultat : les marathoniens font toute la course dans un épais nuage de poussière.
Accessoirement, les compétiteurs vont faire une bonne partie de la course au milieu du trafic de St. Louis (et en pleine expo universelle), en esquivant les voitures, les chevaux, les trolleys, les camions de livraison et les autochtones qui promènent leur chien.
Enfin, histoire de bien enfoncer le clou, les mêmes imbéciles n’ont prévu que deux points d’eau ; aux dixième et vingtième kilomètres.

C’est fait exprès, le malade qui organise les jeux a voulu tester les effets de la déshydratation sur le corps humain. #WTF ?
Bref, quand le départ est donné, l’après-midi promet d’être longue.
Le premier à franchir la ligne d’arrivée après 3 heures et 13 minutes, c’est Fred Lorz, un coureur américain. Lorsqu’il franchit la ligne, il a droit aux acclamations de la foule et à une photo avec la fille de Theodore Roosevelt.
Étrangement, le type est relativement en forme. Si je dis que c’est étrange, c’est parce que derrière, c’est carrément la Bérézina.

Jugez vous-même :
Après 3 heures et 28 minutes d’efforts surhumains, le second à franchir la ligne d’arrivée c’est Thomas Hicks, un anglais qui coure pour les États-Unis.

Le type est (et je pèse mes mots) littéralement à l’article de la mort.
À 16 km de la ligne d’arrivée, le gars était déjà à deux doigts de s’effondrer. Du coup, ses entraîneurs ont été obligés de le soutenir (physiquement) et il a fini la course à coup d’injections de strychnine, de blancs d’œuf et de brandy.
Quand Hicks arrive dans le stade, il hallucine (littéralement) et il est à peine capable de marcher. Cette fois-ci, ces entraineurs le portent carrément pendant que le pauvre gars utilise un dernier reste de lucidité pour bouger un peu les jambes.

(Et ça passe crème.)
Le troisième, après 3 heures et 34 minutes, est français : c’est Albert Corey. Lui aussi est totalement épuisé mais il est suffisamment conscient pour comprendre que, suite à des problèmes administratifs, les organisateurs l’ont compté dans l’équipe des États-Unis. #WTF ?
Corey est suivit d’un (vrai) américain : Arthur Newton qui passe péniblement la ligne après 3 heures et 47 minutes.

Newton est le dernier des 14 types qui ont terminé cette course pour lequel on ait un temps. Les autres sont officiellement « Unknown ».
C’est le cas, notamment, de Félix Carvajal, un postier cubain qui arrive cinquième. Le gars est venu à ses frais par la Nouvelle Orléans sauf que, pas de bol, il y a perdu tout son argent aux jeux.

Du coup, il a dû faire la route jusqu’à St. Louis en stop.
Arrivé à St. Louis, il lui reste à rejoindre le stade. Comme il est sévèrement à la bourre, le type y va en costume de ville (il découpe son pantalon pour que ça ressemble à un short) et en courant.

Autant vous dire qu’il est frais et c’est pas fini…
Quand il prend le départ, Carvajal n’a quasiment rien mangé depuis 40 heures. Affamé, il s’arrête en pleine course pour croquer une pomme dans un verger.

Manque de bol, elle est pourrie et notre cubain termine la course avec des crampes d’estomac abominables.
C’est aussi la première fois que des noirs africains participent aux jeux olympiques. Ils sont deux : Len Taunyane (a.k.a. Len Tau) et Jan Mashiani (a.k.a. Yamasani) et sont tous les deux issus de la tribu des Tswana d’Afrique du Sud.
En fait, ils viennent en touristes.

À la base, ils étaient à St. Louis pour une exposition sur la seconde guerre des Boers qui se tenait en même temps et ont décidé d’en profiter pour courir un petit marathon olympique au passage. #BenVoyons
Eh bien figurez-vous que malgré ça, Mashiani termine treizième et Taunyane, qui a probablement fait toute la course pieds nus, s’adjuge carrément une dixième place.

Il aurait sans doute fait mieux s’il ne s’était pas fait poursuivre par des chiens errants pendant un kilomètre.
Au total, sur les 32 types qui ont pris le départ, seuls 15 vont franchir la ligne d’arrivée.

Pour les autres, c’est une hécatombe. Le premier à abandonner c’est John Lordon, le gagnant du marathon de Boston en 1903 : il est pris de vomissements.
Plus tard, on retrouvera même William Garcia, un coureur américain, allongé sur le bord de la route. À force de respirer de la poussière, le gars tousse en crachant sur sang. Il est passé à deux doigts de mourir d’une hémorragie.
Bref, le héros du jour c’est Fred Lorz et on s’apprête à lui remettre sa médaille d’or.
Sauf que non.
En réalité, complètement exténué après 14 km, Lorz avait jeté l’éponge et était rentré en stop.

Mais comme la voiture est tombée en panne, il a terminé le trajet en trottinant jusqu’à la ligne d’arrivée… où tout le monde a cru qu’il était premier.
Lorz aura beau jurer que c’était une blague, les officiels n’ont manifestement pas apprécié son humour : il est disqualifié et banni de toute compétition à vie — c’est-à-dire jusqu’à l’année suivante (il participera au marathon de Boston l’année suivante).
Après une bonne heure de soins prodigués par quatre médecins, Hicks trouvera tout juste la force de se lever pour recevoir la médaille d’or.

Quelques jours plus tard, il fera savoir par voie de presse qu’il met fin à sa carrière de marathonien. #Fin
Le menu n'a pas bougé, il est là :

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