Thread by @Epithumia

Tout à l'heure j'avais mon RDV, mais ça c'était avant. Il est temps de déballer des choses sur #Parcoursup
Accroche-toi, Twitter.

Alors commençons par le commencement : un peu de contexte. J'enseigne dans une formation sélective (nan, pas une licence, bande de malins). Donc pour nous, #Parcoursup, ce n'est pas une révolution, on a connu APB.

APB, sans être parfait, donnait de plutôt bons résultats pour ce qui nous concerne. En l'utilisant au maximum de ses capacités, on pouvait se façonner une promotion sur mesure, avec des dossiers exotiques qu'on ne regarderait pas sinon.

Dans mon cas, des bacs pro, des bacs L ou ES, des STL... des réorientations... bref, on pouvait guider l'outil pour se dire "on veut X% de bacs S, Y% de bacs technos, dont Z% qui ont déjà tenté une 1e année, et 2-5 bacs exotiques"

Ça se faisait en multipliant les files/groupes pour examiner les dossiers : chaque file a son nombre de places, et le total c'est notre capacité d'accueil. Si aucun candidat ne vient dans la file n, pas grave, on pouvait redispatcher les places plus tard.

Mais ces dernières années, on a subit pas mal de pression du rectorat pour ne plus avoir autant de files parce que c'est "illisible" en particulier parce qu'on pouvait splitter un bac par spécialité (ou remélanger).

Mais pour nous dont l'informatique est le métier, on sait que c'est du flan. Peut importe la file, c'est trivial dans une base de données comme APB de compter tous les bacs techno pris chez nous, et leur nombre de voeu 1 etc

C'est en fait une volonté complètement politique pour forcer à prendre plus de dossiers, quitte à sacrifier le niveau du diplôme (pardon, le "niveau d'exigences et les modalités d'examen) ou le taux de réussite (devinez lequel le rectorat avance).

Et comme on est trop bons trop cons, on suit les directives à reculons, et on tortille pour garder un semblant de contrôle sur le recrutement.
Et on arrive à #Parcoursup. En février, le conseil d'établissement a voté les modalités d'examen des dossiers.

Parce que ce n'est pas anodin. Concrètement, pour les départements de l'établissement, on a défini quels groupes on constituerait, et quels critères examiner dans les dossiers.
Les critères sont très important dans #Parcoursup, ils sont affichés aux candidats.

Par contre les groupes, non. Enfin, en théorie. On a appris le 31/03 qu'en fait, si : les candidats verront le nom du groupe dans lequel ils sont. Et ce n'est pas tout, un des critères que l'on utilise a été retiré. C'était l'objet d'un de mes tweets précédents.

Sans prévenir personne ni demander d'avis à qui que ce soit, le ministère a décidé que les dossiers de néo-bacheliers et de bacs antérieurs seront examinés et classés ensemble.

Et ça part peut-être d'une bonne intention (éviter que des formations jettent d'entrée de jeu les non-néo), mais en pratique c'est la merde pour la sélection, parce qu'un étudiant déjà dans le sup peut pourrir le recrutement.

Comment ? On disant oui a une proposition qui lui est faite, puis en s'asseyant dessus jusqu'à la rentrée. Par ex un étudiant un peu limite en L1 ou prépa ou autre, qui sent que ça va être compliqué et qui s'offre une porte de sortie.

S'il rate sa L1 ou sa CPGE1, il va s'inscrire dans sa nouvelle formation, super. Par contre s'il réussit, il peut continuer de bloquer la place jusqu'au bout, et il s'en fout, il lui suffit de rester là où il est déjà inscrit.

Autre conséquence : avant, on pouvait viser X% de non-néo, maintenant c'est la roulette. Ptet on aura 0 réorientation, ptet 50%, ptet 100%, on n'a plus aucun contrôle dessus.

Continuons sur le sujet des ces files. Une des règles de #Parcoursup, c'est qu'une file doit forcément avoir des places derrières (pour éviter d'exclure d'entrée de jeu des candidats. Dans #Parcoursup et APB, il y a un point commun: une file par défaut.

Celle où les dossiers qui ne rentrent pas dans les cases des files automatiques vont. Mais c'est là que s'arrête la similarité. Dans APB, on pouvait faire des groupes manuels, où on place les dossiers "à la main" (ou par import de fichier)

C'est utile si le classement est généré hors APB par ex. Le 31 mars, on a appris que cela était supprimé.

Dans #Parcoursup, on pouvait déplacer des dossiers d'une file, manuelle ou automatique, vers n'importe quelle autre file. C'est utile pour examiner et classer un dossier avec d'autres cohérents.

Et là vous le sentez venir, on a appris le 31 mars que ça aussi c'est fini.

Pourquoi est-ce un problème : j'ai deux dossiers dans la file par défaut, que je ne peux pas bouger, bien que je sache clairement 1) quel est leur bac d'origine, et 2) que je ne les recruterai pas (pas en formation initiale, en tout cas).

Mais je vais devoir quand même proposer une place où il n'y aura aucun classé. C'est absurde.

... et ce n'est pas fini. Vous lycéens, vous avez entendu parler de la fiche avenir, mais peut-être pas vue (en fonction de comment ça se fait en conseil de classe de votre lycée).

Nous on la voit. Et dans beaucoup de formations, elle va servir dans votre sélection. Comme la plupart des cases ont 4 choix possible, ça se transforme trivialement en note. Note qu'on pondère et qu'on intègre dans le calcul automatique.

Ou pas. Perso, pour ma formation, elle n'entre pas dans le calcul du pré-classement. Elle sera vue par des humains, par contre (comme les appréciations et vos notes). Mais pour les L1 qui recevront des dizaines de milliers de dossiers, par contre... c'est tentant.

La suite dans le second fil...

Il est grand temps d'aborder l'aide à la décision, nom pompeux que #Parcoursup (et APB avant) donne à une grosse formule Excel qui fait une grosse moyenne pondérée.

Son utilité, c'est de classer les dossiers, parce qu'on en reçoit potentiellement beaucoup (plus de 3700 ici) et que l'examen des dossiers est fait par des enseignants en plus de leur travail normal. Chez moi, c'est du bénévolat.

Ce qu'on fait, donc, c'est définir une formule par filière de bac (S, ES, L, STI2D, STMG, Pro,...) qui dit quelle note on regarde et quel coefficient donner (ex fictif: S -> maths 1e coef 3, maths Tle coef 4) qu'on peut grouper comme on veut en moyennes intermédiaires.

Et on peut pondérer les moyennes intermédiaires.
On peut aussi définir des éléments d'évaluations (pondérés aussi). Les fiches d'aide #Parcoursup données aux établissement donnent l'exemple de l'examen du CV, de la LM, etc...

Et leur exemple est en fait très pernicieux. Plus on multiplie le détail, plus on a tendance à perdre le contexte et être dur. Et ça, pour vous lycéens, ça craint. On peut donc se limiter à mettre une note pour l'évaluation globale du dossier si on veut.

Ce qui m'amène au cas des étudiants en situation de handicap. Jusqu'à l'an dernier, dans certaines académies (comme la mienne), leurs dossiers étaient signalés à part, et un système de priorité existait pour s'assurer que leur profil soit adapté à la formation demandée d'une part

et si l'établissement est en mesure de faire l'accueil d'autre part. Je sais, normalement on peut accueillir tout le monde, mais ça c'est sur le papier. Les enseignants ne sont pas formés pour certaines pathologies. Mais on est généralement de bonne volonté.

Du coup savoir en avance qu'un cas complexe arrive permet de se préparer en terme de moyens matériels et humains, et de préparer le terrain auprès des collègues. Exemple qui a failli arriver : si un-e étudiant-e sourd-e arrive, il faut potentiellement un-e interprète.

Ca se trouve, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain. Comme vous êtes malins, vous devez sentir venir le loup... ça a disparu cette année. On va essayer de repérer les dossiers durant l'examen pour transmettre au service handicap pour qu'ils contactent les candidats classés

en amont de leur inscription effective pour qu'on puisse mettre en place leur accueil. Mais le risque est non nul que comme ils sont examinés avec tous les autres, que des recruteurs les dézinguent et les classent en bas ou les refusent.

Et à moins de repasser en double ou triple examen tous les dossiers, c'est très compliqué à gérer. Et on n'a pas le temps ni les moyens de le faire.

Bon, on a pas mal avancé. Petite pause, je reviens pour le final.

Le final donc. Petite lecture préalable :

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Ce qui marchait plutôt bien avec APB, c'est que ça associait bien un étudiant avec son vœu préféré, et ça remplissait les formations ou presque. Il arrive quand même qu'on épuise la liste d'attente et que trop peu de personnes viennent, mais pour ça il y a le redispatch de places

avec la PC (procédure complémentaire) qui permet d'appeler des candidats qui n'ont rien après les trois vagues d'affectation (et qui sont encore dans nos files) et le rappel fin de liste pour appeler par téléphone les jours avant la rentrée pour dépiler vite.

Mais avant d'en arriver là, on avait fait des files, classés des candidats, et on arrive à un point important : le choix des capacités. C'est une science comme l’œnologie : ça se fait au nez. La problématique, ce sont les redoublants.

Dans ma formation, si une condition est vérifiée, un étudiant redouble de droit : on doit le prendre de nouveau, c'est donc à nous de lui faire une place. Seulement, en février, quand on fixe les capacités d'accueil, on ne connaît pas combien redoublent.

On fait donc du pifomètre augmenté de l'expérience pour dire combien de place ça laisse. Puis on fait pareil avec les programmes d'échanges et les candidats étrangers (qui passent ailleurs que sur apb/#parcoursup)

Et très récemment, bien après avoir transmis leurs capacités d'accueil à leur rectorat, des formations ont eu de très mauvaises surprises : leur recteur les a augmentées unilatéralement (parce que nos gouvernants ont annoncé "ouvrir des places", et ça se passe comme ça chez McDo)

Chez moi on a été épargnés (notre recteur est raisonnable) mais dans certains endroits, c'est catastrophique : si toutes les places #parcoursup sont remplies, il ne reste plus de place pour les redoublants. Parfois on peut bricoler et y arriver, mais...

Ça se fera sans moyen supplémentaire. Pas de poste de prof en plus, pas de salle en plus. Il y aura plus d'heures sup (mal payées) ou de vacataires (aussi mal payés, mais moins régulièrement encore). Dans certains endroits, il n'y a pas d'amphi qui peut accueillir tout le monde.

Bref, les conditions pour enseigner vont forcément se dégrader, sans compter le coût pour les formations qui mettent en place les remise à niveau from scratch. Mais comme je le disais, chez moi on est épargné.

Mais ce n'est pas fini !

Dans APB comme #Parcoursup, on peut surbooker (comme dans les avions). Ce n'est pas une mauvaise chose en soi : on a des candidats qui disent oui, mais qui ne se présentent jamais à la rentrée, et comme je disais avant, le nombre de redoublants peut être plus petit qu'anticipé.

Dans #Parcoursup, ce taux de "surréservation" est limité à 20%, mais peut être augmenté par le recteur sur justification du responsable de la formation à 50%. Le surbooking, comme les capacités, ça se fait à l'expérience. Nous, on a . Les L1... bah non.

Il n'est donc pas impossible qu'en plus d'avoir une capacité surdimensionnée par rapport aux moyens, certains se retrouvent avec du surbooking par dessus. Joie et bonheur dans les amphis (et étudiants assis sur les marches).

Et ce n'est pas tout ! :D
#Parcoursup a introduit un système nouveau, complètement dément: "le rang du dernier candidat à appeler". Accrochez-vous.

Je cite : "Le chef d’établissement peut décider de gérer son appel de candidats sur la base d’un rang d’appel qui excède le nombre de candidats à appeler ; il devra définir, avant le 16 mai 2018, dans la limite qui lui sera indiquée par la maitrise d’œuvre de Parcoursup,

le rang du dernier candidat à appeler.
La plateforme Parcoursup fera alors, sur cette base, une proposition à tous les candidats en amont de ce rang."

Exemple donné : "La même formation, qui a des capacités d’accueil de 100 places, et dont le nombre de candidats à appeler a été défini à 115, peut, au regard du rang du dernier appelé des campagnes précédentes, fixer le rang du dernier appelé à 600 ;

ce qui veut dire que le 22 mai 600 candidats recevront une proposition."

Je vous laisse ramasser votre cul tombé par terre.

Je pense que la logique c'est que certaines formations ont un taux d'évaporation très fort (chez moi par ex, on perdait à peu près 85% des candidats), du coup on dit oui à beaucoup de monde très tôt pour avoir rapidement des réponses.

Mais maintenant que l'ordre des vœux n'existe plus, que les néo-bacheliers et bacs antérieurs sont mélangés, il faudrait être fou pour utiliser cette possibilité. Et en plus, on ne sait pas comment cela réagit par rapport à notre classement.

Supposons que je classe 300 candidats pour 55 places (c'est réaliste). Si 300 personnes voient "oui" le 22 mai, que se passe-t-il si 150 disent oui ? Ben le document d'aide ne le dit pas...

à part "Tous les candidats appelés par une formation, et qui accepteront cette proposition, seront réputés admis et accueillis par la formation concernée."

Aucun problème.

Il y a d'autres choses que l'on a découvert que très récemment (hier, en l'occurrence). En théorie, on avait jusqu'au 18 mai pour remonter nos classements dans #Parcoursup. Sauf qu'en fait, non. Il est souhaité que ça soit fait le 15 (zones A&C) ou le 16 (B).

Est-ce que je vous ai parlé des entretiens ? non. Parlons-en. Dans le processus de sélection, il est possible de faire passer des entretiens. Les avis divergent (ça fait beaucoup) sur s'il faut faire passer tout le monde ou personne ou si on peut réserver à quelques candidats.

Le camp tout ou rien se base sur l'égalité de traitement. Le camp pas tout le monde sur le fait que c'est impossible d'auditionner 3700 candidats en un mois et demi (moins 2 semaines de vacances de Pâques).

Indépendamment de ça, on a peu de temps pour le faire. Je sais que des formations avaient prévu de le faire la semaine du 14 mai. Vous voyez le souci ?

Je vais terminer par la dernière nouveauté de #Parcoursup : les quotas de boursiers. La loi ORE a prévu des quotas minimaux de boursiers. C’est fixé par les recteurs, en théorie en concertation avec les Pres d'Uni ou chefs d'établissement.

Je dis en théorie, parce qu'ici, on ne connaît pas le quota (on l'attend pour le retour des vacances) et j'ai un doute sur l'aspect concerté comme aucune réunion à ce sujet n'est prévue. On croise les doigts pour que le recteur soit raisonnable.

(En gros qu'il vise en dessous de notre taux actuel (~30% à la louche) pour que ça se fasse assez naturellement).
Mais en fait ça nous rajoute un problème :

Il faut que notre *classement* respecte ce quota.

C'est démentiel. Celui qui s'est dit que c'était faisable et/ou une bonne idée devrait aller se faire battre.

Cas extrême (je suis informaticien, on aime tester les cas extrêmes) : on n'en a pas assez, et on doit piocher dans des dossiers pas du tout adaptés pour remplir le quota. Des étudiants qui iront au casse-pipe.

Si un recteur se la joue populiste en disant qu'il y aura la moitié des places pour les boursiers, tous les étudiants en pâtiront.
Mais ça ne s'arrête pas là !

Comme le risque est que le classement remplisse le quota par le bas (on classe des boursiers en partant de la fin, ils ne seront pas pris mais ça augmente le taux dans le classement), quand les vœux sont offerts, les boursiers passeront devant.

Et #Parcoursup maintiendra le taux quasi constant durant toutes les phases, ce qui veut dire que les boursiers seront systématiquement remontés si des boursiers disent non au dessus.

Et dans une exercice magnifique de pirouette, le document dit à la fois que "Parcoursup ne modifie pas le classement qui a été effectué par la commission d’examen des vœux" et que

"Parcoursup se contentera, à partir du classement remonté par la commission d’examen des vœux d’intercaler les candidats bénéficiaires boursiers de l’éducation nationale dans les candidats appelés."

Perso, j'appelle ça "modifier le classement". Pour les formations sélectives comme la mienne, le quota est par file est basé sur la proportion de boursiers dans la file.

La cerise sur la gâteau, c'est que si à la rentrée il reste des laces vacantes (c'est tout à fait possible, vu le bordel qui mijote), le recteur (encore lui) pourra placer qui il veut chez nous. Jusqu'à fin septembre. Le pauvre étudiant à qui ça arrive, il perd un an.

Bref, avec tout ça, mes collègues chefs de département et moi nous sommes posés la question de ne plus faire de jury dans le futur et laisser le recteur se démerder. Ça nous prend de plus en plus de temps et de moyens humains, et on a de moins en moins de contrôle dessus.

Voilà voilà. J'espère que ça aura été intéressant à lire.

Update: j'ai découvert hier que ça a été rétabli. J'ai donc une file vide... à laquelle je serai forcé d'affecter au moins une place.
On n'est pas sortis de l'aubergine, je vous dit.