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Apr 25, 2018 29 tweets 9 min read Twitter logo Read on Twitter
En 1913, le conseil de révision de la Drôme est dans le canton de Grignan pour y sélectionner les jeunes de 18 ans du coin qui seront déclarés bons pour le service armé. Parmi les recalés parce que jugés trop chétifs, il y a un petit bonhomme d’un mètre cinquante-huit. #Thread
Il s’appelle Albert Séverin Roche.
Né à Réauville le 5 mars 1895, c’est le troisième fils d’une famille de cultivateur et il sait très bien ce que ce refus de l’armée signifie pour lui : il va se retrouver à bosser avec son père dans les champs.

Et ça, ça ne lui plait pas du tout.
Sauf que là, le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Pour Albert, qui apprend qu’on accepte des volontaires au camp d’Alban (dans le Tarn), c’est l’occasion ou jamais : comme son père refuse, il se fait la malle en pleine nuit pour aller s’engager.
Las, ses supérieurs le prennent manifestement pour une bille et il se retrouve coincé entre les murs du camp d’instruction. Albert enrage et finit par griller un câble : il se barre carrément sans rien dire à personne. Techniquement, c’est une désertion.
L’armée finit par lui remettre la main dessus et s’apprête sans doute à le fusiller mais Albert se débrouille pour négocier d’être envoyé au front à la place.

Le 3 juillet 1915, il rejoint le 27e Bataillon de Chasseurs Alpins (27e BCA), sans doute dans les Vosges.
Et là, presqu’immédiatement, le chasseur de 2e classe Albert Roche va révéler un aspect inattendu de sa petite personne : en matière de badasserie, il explose tous les records.
Ça commence quand son capitaine veut envoyer 15 types dézinguer un nid de mitrailleuses. Albert a un autre plan : il se propose d’y aller avec deux copains.

Un peu dubitatif, le capitaine accepte et laisse les trois gars se frayer un chemin dans les barbelés.
Une fois sur place, Albert repère le tuyau du poêle autour duquel les allemands se réchauffent et y balance quelques grenades.

Les boches survivants, convaincus qu’ils se font attaquer par un bataillon entier, se rendent.

Bilan : 8 prisonniers et leurs mitrailleuses.
Des coups comme ça, Albert les enchaîne. Cité à l’ordre de la Division le 13 octobre 1916 (et c’est déjà la 3ème), sont supérieur note : « chasseur d’un courage frisant la témérité, toujours volontaire pour les missions périlleuses. »
Au printemps 1916, dans la région du Sudel (Vosges) il se retrouve seul survivant de son unité avec les allemands qui chargent en face. Dans un cas comme ça, n’importe quel type normalement constitué détale à toutes jambes ou, à défaut, fait le mort.
Mais là, on a affaire à Albert *Fucking* Roche.

Le mec ne se démonte pas une seconde et récupère tous les fusils, les positionne sur le bord de la tranchée et passe de l’un à l’autre en courant pour charger et tirer.
Et il fait ça à un tel rythme que les allemands qui chargent finissent par être persuadés que tout un bataillon français les tire comme des lapins.

Aussi incroyable que ça puisse sembler : les mecs flippent et battent en retraite.
Une autre fois, lors d’une mission de reconnaissance, il est fait prisonnier avec son lieutenant blessé. Les allemands les enferment dans une casemate et confient l’interrogatoire à un seul type.

Grossière erreur.
Ni une ni deux : Albert arrache le flingue de l’interrogateur, le descend et se débrouille — allez savoir comment — pour repartir vers les lignes françaises avec 8 prisonniers et son lieutenant sur le dos.
On est fin 1916 et Albert est déjà un mythe, même aux yeux de ses petits copains du 27e BCA — qui ne sont pas tout à fait des rookies : dans une citation du 24 novembre 1916, il est décrit comme un « chasseur dont la bravoure est [excusez du peu] légendaire ».
(Et ça, pour info, c’est pas tout à fait dans les us et coutumes de l’armée française.)
Au fil des citations, le portrait que dressent ses supérieurs du gamin chétif de la Drôme est proprement hallucinant : non seulement c’est un tireur d’élite mais surtout, il a des nerfs d’acier et n’a littéralement peur de rien.

Quelques exemples :
Durant la bataille du Chemin des Dames, Albert aperçoit son capitaine gravement blessé entre les deux lignes de front. Évidemment, ça canarde de tous les côtés et, évidemment, en théorie, le pauvre gars est foutu.
Sauf qu’en théorie, Albert Roche n’existe pas.
Évidemment, il y va. Le mec rampe dans la boue glaciale des tranchées et sous les tirs allemands pendant SIX HEURES pour le rejoindre puis, se fait le trajet du retour — toujours en rampant et avec un blessé grave dans les bras — en QUATRE HEURES !
Forcément, Albert est épuisé et s’endort dans un trou de guetteur… Jusqu’à ce qu’une patrouille le trouve là et que ces abrutis le prennent pour un déserteur.

Verdict : il doit être fusillé dans les 24 heures.

Quelques heures plus tard, il est face au peloton d’exécution.
Et là, coup de bol : le capitaine qu’il vient de sauver sort des vapes juste à temps pour arrêter le peloton d’exécution. Ça vaudra finalement à Albert une Croix de Guerre.
Au total, Albert Roche cumule neuf blessures (dont une grave, au bras droit, le 31 août 1918), douze citations (dont quatre à l’ordre de l’Armée) et — tenez-vous bien — le gars a fait un total de 1 180 prisonniers allemands À LUI SEUL !
Outre la Croix de Guerre, il récupère aussi la Médaille Militaire, la Croix du Combattant Volontaire et il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur le 25 octobre 1917 (puis Officier en 1937) — c’est le soldat français le plus décoré de la 1ère Guerre Mondiale.
La guerre finie, Foch tombe sur les états de service d’Albert et hallucine totalement : le gars est toujours un simple chasseur (de 1ère classe depuis le 15 octobre 1915).

« Il a fait tout cela, et il n’a pas le moindre galon de laine ! » #WTF ?
Le 27 novembre 1918, le généralissime embarque Albert avec lui sur le balcon de l’hôtel de ville de Strasbourg et, devant la foule rassemblée là, déclare : « Alsaciens, je vous présente votre libérateur Albert Roche. C’est le premier soldat de France ! » #Fin
Et un grand merci à @ParaNizar qui a trouvé les états de service (pp 967-973) :
archives.ladrome.fr/?id=viewer&doc…
Pour d’autres histoires du même tonneau, je rappelle que le menu est là :

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Jul 23, 2018
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netflix.com/fr-en/title/80…
De l’aide militaire apportée par Truman au français dès septembre 1950 à la chute de Saigon en avril 1975, les États-Unis sont quand même restés dans ce bourbier pendant près de 25 ans et sous 6 présidents (Truman, Eisenhower, Kennedy, Johnson, Nixon et Ford.)
En terme d’engagement de troupes sur place, on est passé des 900 ‘conseillers’ d’Eisenhower, à 16 000 gars à la mort de JFK puis à — tenez-vous bien — 543 482 hommes et femmes à la fin de la présidence de Lyndon Johnson.
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