#Thread en réaction au rapport #Oxfam intitulé "CAC 40, des profits sans partage". Comme toujours avec ces "études", un message choc et 2-3 chiffres clés pour être sûr d'être repris par la presse. 1/
2/ Le message est ici très simple : entre 2009 et 2016, sur 100 euros de bénéfices, les entreprises du CAC 40 ont versé en moyenne 67,4 euros de dividendes aux actionnaires, 27,3 euros pour le réinvestissement et... 5,3 euros pour les salariés.
3/ Moralité explicite : les grands groupes français, plutôt que d'investir ou de verser une rémunération complémentaire à leurs salariés, privilégient le capital et les actionnaires. Dans un climat social tendu, voilà un thème "porteur"...
4/ Oxfam a réussi son coup ! Toute la presse a effectivement repris le message principal et les quelques chiffres de l'étude sans réserve. Exemple, Le Monde du 15 mai titre en couverture "CAC 40 : les grands profits des actionnaires".
5/ Pourtant, peu de médias ont pris le temps de s'interroger sur la cohérence de l'échantillon, la pertinence de la méthode et la nature du message. Or, l'étude Oxfam et sa présentation sont très constestables.
6/ Juste une précision : ardent partisan de l'actionnariat salarié et d'un social-libéralisme équitable, je suis convaincu que le débat sur partage de la création de valeur dans l'entreprise est essentiel. Encore faut-il le poser correctement.
7/ Limite n°1 : l'échantillon. S'intéresser au CAC 40, ce n'est pas s'intéresser à des "groupes français" mais à des entreprises internationales dont l'essentiel de l'activité et des profits sont réalisés à l'étranger. Le CAC 40 ne représente pas les entreprises françaises
8/ La majorité de nos PME, qui recrutent et investissent en France, ne distribuent pas ou distribuent peu de dividendes. Dès lors, difficile d'extrapoler des statistiques sur un échantillon aussi "spécifique" que le CAC 40 et d'en tirer des conclusions sur le capitalisme français
9/ Limite n°2 : l'impact du dividende pour l'actionnaire. Trop souvent, on reprend sans discuter l'idée qu'un dividende versé, c'est forcément bon pour l'actionnaire. Sauf que c'est une baisse de trésorerie de l'entreprise... et donc une perte de valeur de l'action.
10/ En d'autres termes, une entreprise dont l'action vaut 100 en bourse et qui distribue 5 de dividendes n'enrichit pas son actionnaire de +5. Cela ne change rien pour ce dernier !!
En effet, ce dividende de 5 vient diminuer la trésorerie de -5, l'action ne valant plus que 95.
11/ L'actionnaire a donc toujours 100 : un dividende de 5 + une action de 95. Selon la théorie du signal, un versement de dividende de 5 peut même dans certains cas conduire à une perte de valeur supérieure à 5, l'actionnaire considérant que l'entreprise n'a plus aucun projet.
12/ Limite n°3 : une erreur de conception sur le revenu de l'actionnaire puisque le dividende est généralement perçu comme la rémunération du capital. C'est oublier que celle-ci se compose (1) du dividende ET (2) du gain de valeur sur l'action. Ne prendre que le dividende...
13/ ...est une erreur fondamentale. La principale méthode pour mesurer la rentabilité du capital (modèle MEDAF) se mesure d'ailleurs sans aucune prise en compte de la politique de dividendes. Et sur les dernières années, la rentabilité du capital a plutôt eu tendance à baisser...
14/ Limite n°4 : L'idée de comparer dividendes, primes au salariés et réinvestissements en partant des bénéfices... est une erreur méthodologique !
En effet, le bénéfice (ou le profit) correspond à la différence entre le chiffre d'affaires (les ventes) et toutes les charges.
15/ Or, dans les charges de l'entreprise, il y a déjà les salaires versés, les contributions sociales qui financent notre système de protection sociale, les impôts qui financent la dépense publique (y compris l'impôt sur les bénéfices).
16/ Ces charges incluent également les dotations aux amortissements qui matérialisent l'investissement dans des actifs corporels, les dépenses de R&D qui représentent l'investissement dans l'innovation et les dépenses marketing qui représentent l'investissement dans les marques.
17/ En d'autres termes, ce n'est pas à partir des bénéfices que l'on peut apprécier ce que l'entreprise verse à ses salariés (ou même à la collectivité), ni le niveau de ses investissements réels.
18/ Limite n°5, en lien avec la précédente : le concept même de l'investissement repris par #Oxfam. Celui-ci est erroné. Dans une économie de l'immatérielle comme la nôtre, l'investissement porte moins sur le tangible que sur l'intangible (innovation, marques, capital humain).
19/ Or, je l'ai rappelé, cet investissement passe principalement en charges et non par le bilan (actif). Ce qui veut dire que le bénéfice prend déjà en compte tous ces "investissements". Surtout dans un monde où les entreprises préfèrent sous-traiter que construire des usines.
20/ Si Oxfam avait conduit son exercice de façon honnête, en additionnant toutes les dépenses sariales et toutes les dépenses "d'investissement", elle aurait constaté que les entreprises du CAC 40 sont au contraire plutôt généreuses...
21/ Remarque complémentaire : il est faux de croire que les entreprises françaises n'augmentent pas les salaires. Comme le rappelle l'économiste Patrick Artus, la France est l’un des très rares pays de l’OCDE où les salaires augmentent plus vite que la productivité.
22/ Limite n°6 : la comparaison de la partie distribuée aux salariés rapportée aux profits du CAC 40. L'intéressement et la participation sont en effet spécifiques à la France. Comparer ces montants aux bénéfices mondiaux du CAC 40 est donc une aberration méthodologique.
23/ Limite n°7 : l'utilisation des dividendes. Trop souvent, les Français font le procès des dividendes comme s'il s'agissait du revenu de rentiers. Sans nier que de ces situations peuvent exister, il serait ridicule de se limiter à de tels clichés.
24/ L'étude Oxfam oublie de souligner que les dividendes vont supporter de l'impôt et de la CSG. En outre, les flux de de revenus comme les dividendes, sont généralement réinvestis dans l'économie sous forme de placements, de financements d'entreprises ou de projets.
25/ Dernière limite : Oxfam ne s'interroge jamais sur le pourquoi du niveau du dividende versé par le CAC 40. C'est pourtant occulter une réalité : la France refusant la mise en place de fonds de pension, le dividende est souvent le seul moyen d'attirer les investisseurs ! FIN

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