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Sep 30, 2018, 23 tweets

D'accord, vous l'avez bien cherché : je vais vous faire une histoire toute illustrée et chatoyante du #wax, ce tissu que (selon ce que #RokhayaDiallo a dit au #Feministival) les « blanches » n'auraient pas le droit de porter sans culpabiliser

[thread] ⤵️

3, 2, 1 : petit voyage dans le temps et nous voilà en 1637, quand la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales s'empara du port d'Elmina sur la Côte d'Or (aujourd'hui #Ghana), détenu depuis 1471 par les Portugais.

À Elmina il n'y avait pas de wax, mais de l'or, de la maniguette et des esclaves, beaucoup d'esclaves.
Les puissants Ashantis, qui gardaient le contrôle sur l’intérieur des terres, vendent aux hollandais leurs prisonniers, surtout d'ethnie Fanti.

Le relations entre Ashantis et Hollandais étaient encore au beau fixe aux XIX siècle, quand ces dernières eurent besoin de recruter des mercenaires pour dompter les révoltes qui s'étaient déclenchées dans leurs comptoirs indonésiens : Bornéo, Sumatra et surtout #Java.

Attirés par la promesse d'une bonne solde, des centaines de guerriers Ashantis, appartenant surtout à la noblesse, partirent ainsi vers l'Asie et participèrent à une guerre sanguinaire : 200.000 morts dans la seule population javanaise (et 15.000 dans l'armée hollandaise).

Au retour, dans leurs malles remplies avec le butin de guerre, ils rapportèrent en Afrique des jolis tissus javanais appelés "#batik".
Batik, né de la fusion de amba (écrire) et titik (point, goutte) est le mot javanais pour désigner une technique de teinture très particulière.

Cette technique consiste à masquer les parties du dessin qu'on ne veut pas colorier avant d'immerger le tissu dans la teinture. Le masquage se fait avec des substances imperméables comme la résine, l'amidon et surtout la cire.

Cette façon de teindre est très ancienne et n'a probablement pas été inventée à Java.
On a retrouvé des momies égyptiennes du IVe siècle av. J.-C. avec des bandages en lin décorés avec une sorte de proto-batik assez simple.

La technique a été ensuite développée en Chine sous la dynastie T'ang, en Inde et au Japon pendant la période Nara.
En Afrique aussi on faisait des batik : surtout au #Nigéria, chez les Yoruba, et au #Sénégal, chez les Soninkés et les Wolofs.

Mais c'est à Java, où fut importé au Ve siècle depuis Ceylon, que le #batik a atteint son apogée.
Initialement réservée aux aristocrates, qui se transmettaient le secret de fabrication de mère en fille, la technique se démocratisa jusqu'à devenir le "langage" de toute l’île.

Car le #batik "parle". Dans ses dessins on peut dire son rang et ses espoirs, annoncer mariages, naissances, deuils... Il y a des motifs spécifiques pour chaque chose.
Le langage symbolique du batik indonésien est inscrit depuis 2009 au patrimoine immatériel de l'Unesco.

Mais revenons à nos mercenaires ghanéens, ces redoutables vecteurs d'appropriation culturelle.
Les tissus qu'ils avaient ramené de Java eurent un succès foudroyant : on se les arrachait, surtout chez la noblesse .

La mode envahit rapidement toute l'Afrique de l'Ouest et la demande surpassa largement l'offre : les batiks valaient plus que l'or.
Et les Néerlandais, en commerçants avisés, se lancèrent dans le business.

Au lieu de simplement importer les batiks depuis l'Indonésie, ils se mirent à le fabriquer eux mêmes, aux Pays Bas, avec un système plus industriel et donc moins cher, pour les vendre en Afrique.
Ce qu'ils font encore aujourd’hui.

.@Vlisco, le plus grand producteur de #wax au monde, se trouve à Helmond, à une quinzaine de kilomètres d'Eindhoven. À elle seule cette entreprise fondée en 1864 produit 64 millions de mètres de batiks industriels chaque année.
Et elle les écoule à 90% sur le marché africain.

Vlisco à aussi 1500 employés en Afrique, qui travaillent sur deux lignes de production : Uniwax en Côte d’Ivoire et GTP au Ghana.
Mais « le véritable wax hollandais » vient des Pays Bas, comme son nom : #wax veut dire "cire" en néerlandais, comme en anglais.

En « s'inspirant » de l'Afrique Vlisco a crée plus de 350000 motifs textiles originaux, qui font désormais partie du "langage symbolique" africain.
Comme le batik avant lui, le wax "parle" et raconte les petits et grands événements de la vie...

A chaque occasion son wax, à chaque wax son message .
Ton homme te néglige ? Il il a le #wax « Si tu sors, je sors », qui le menace de faire pareil : le dessin montre un oiseau qui sort d'une cage et un autre prêt à le suivre.

Une autre femme s'en mêle ? Il y a le #wax « L’œil de ma rivale » (un grand classique), qui annonce à la tentatrice : « Attention, tu vas tellement en pleurer que tes yeux en deviendront tous rouges... »

Et il y a aussi des #wax pour les dates historiques : celui-ci par exemple a été réalisé pour l’élection de Barack #Obama, question d'ajouter un quatrième continent à l'histoire de ce tissu.

Madame #Diallo ne sait pas qu'il y a aussi des femmes noires qui « font de l'argent dessus » ? On les appelle les "nanas (ou mamans) Benz" car elles roulent en Mercedes grâce au commerce de #wax.
Des capitalistes africaines qui exploitent les ouvrières néerlandaises ! 🤣🤣🤣

Toute cette histoire d'#appropriationculturelle n'est pas sérieuse, Madame Diallo !

La culture ne se divise pas : elle se se multiplie.
C'est comme ça qu'on est sorti des ténèbres : en partageant le feu.

🔚 (avec une pensée très forte pour l’#Indonesie en ce jour de deuil)

Trois sources pour en savoir plus :
Thomas Stamford, The History of Java, Raffles, OCLC741754581
Nadia Nava, Il batik , Ulissedizioni, ISBN 88-414-1016-7
Ineke van Kessel & Arthur Japin, Zwarte Hollanders - Afrikaanse soldaten in Nederlands-Indië, KIT, ISBN: 9068324985

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