Un sujet majeur depuis #Fukushima : et si on perdait toutes les alimentations électriques d'un réacteur ? 😱
Un disclaimer préalable : je vais me focaliser sur les réacteurs français, de type « Réacteur à Eau Pressurisée » (REP). Ce que je vais dire ne sera que très partiellement applicable à d'autres réacteurs, notamment les REB de Fukushima.
Pour commencer, à quoi ça ressemble, un REP, et comment ça fonctionne ?
Je pique à @Framatome_ cet excellent visuel :
En très bref, dans la cuve (1) est le cœur du réacteur où est assurée la réaction en chaîne qui produit de la chaleur. Typiquement, dans les 3500-4000 MW de chaleur.
Les quatre pompes (3) assurent la circulation de l'eau à un débit assez fou entre la cuve et les GV, les générateurs de vapeur (2), qui sont de gros échangeurs de chaleur eau/eau entre le circuit primaire et secondaire.
Dans ces GV, l'eau du secondaire, liquide, est chauffée par l'eau du primaire jusqu'à ébullition et vaporisation. Ensuite, la vapeur part à la turbine, est refroidie par le secondaire, liquéfiée, et revient aux GV. Voilà, vous avez les bases.
Après, il y a le pressuriseur dans lequel pas grand chose ne circule, il sert surtout à maintenir la pression stable en abritant une "bulle" de vapeur qu'on comprime ou détend pour mettre l'eau de tout le primaire sous pression.
À noter que cette illustration est valable pour les réacteurs de 1300 MW, 1500 MW, et l'EPR. Nos 34 réacteurs de 900 MW n'ont que trois "boucles" : trois pompes, trois GV.
Bon, on a les prérequis sur le design simplifié du réacteur. Maintenant, à quoi sert l'électricité ?
Et bien avant tout à faire tourner les 3-4 pompes du primaire et faire circuler l'eau de sorte qu'elle transporte la chaleur de la cuve vers les GV. 4 millions de kW à balader.
L'électricité sert à des tas et des tas d'autres fonctions, évidemment, ne serait-ce qu'au pilotage du réacteur. Mais le cœur (haha) du problème est quand même la circulation de l'eau dans le primaire.
Correction : il y a quelques tweets, j'ai dit que la vapeur était refroidie par le secondaire. Non, elle fait partie du secondaire, elle est refroidie par le tertiaire - dont on ne parlera pas aujourd'hui ^^
Bref.
Avant d'envisager la perte d'alimentation électrique, je suis d'avis de faire un petit tour d'horizon des différentes alimentations possibles, justement. Histoire d'être clair sur le fait que c'est pas une bête coupure de courant dont on va parler dans la suite 😋
Le réacteur est évidemment connecté au réseau électrique français. Par une ligne de 400 kV dite "principale", sur laquelle il évacue sa production électrique après avoir prélevé ce dont il a besoin pour faire fonctionner - notamment pour faire tourner les pompes primaires, donc.
En cas de défaillance de la ligne, on tente un « îlotage » : on découple le réacteur du réseau électrique, et on essaye de faire baisser sa puissance de sorte à ce qu'il s'auto-alimente, en produisant juste ce dont il a besoin.
C'est une manœuvre assez tendue, parce qu'il y a pas mal d'actions à opérer pour changer considérablement le point de fonctionnement du primaire et du secondaire. Il faut notamment réguler très rapidement la concentration de bore dans le primaire.
Bref, pas mal de changements qui peuvent ne pas être toujours faits assez vite, ou être mal faits et "taper" les systèmes de protection du réacteur et déclencher son arrêt automatique par chute des barres de contrôle dans le cœur.
En cas d'échec de l'îlotage, et donc arrêt automatique du réacteur, on tente de passer l'alimentation de la tranche sur une autre alimentation externe, le « réseau externe auxiliaire » de 400 kV également.
Les pompes primaires ne sont néanmoins plus alimentées. Mais elles sont munies d'énormes volants d'inertie qui les font tourner quelques moments encore.
Mais à ce moment là, on sait déjà qu'on va devoir piloter le réacteur sans elles.
Heureusement, il est en train de s'arrêter, et donc la puissance passe de 4000 MW (celle de la réaction de fission en chaîne) à quelques dizaines de MW, la puissance « résiduelle » due à la radioactivité du cœur.
Donc si on vous parle d'emballement de la réaction, d'impossibilité d'arrêter la fission, etc., dans ce contexte, ce sont en général des conneries. La chute des barres tue net la réaction en chaîne, en 5 s il n'y a quasiment plus rien que la puissance résiduelle.
Bon, côté alimentation électrique, on tente de démarrer les deux groupes électrogènes diesel qui alimenteront différents systèmes de sauvegarde pour pérenniser le refroidissement du réacteur, et le garder de manière générale en fonctionnement contrôlé.
Si aucun des deux diesel ne démarre, on sollicite un groupe d'ultime secours : soit la turbine à combustion de la centrale, si elle en a une, soit un diesel d'un réacteur voisin.
Si ce groupe d'ultime secours est indisponible aussi, là, ça commence à devenir compliqué. Depuis Fukushima, EDF déploie des diesel d'ultime secours à raison d'un par tranche, mais elles ne sont pas encore toutes équipées.
Il y a encore une barrière, c'est l'acheminement de moyens d'alimentations électrique depuis l'extérieurs, notamment par la FARN. Déployable sur n'importe quelle tranche en 24h, même en conditions extrêmes (comme après un séisme, infrastructures routières endommagées, etc.)
Mais dans le cas où : 1) On perd l'alimentation électrique principale 2) On échoue l'îlotage 3) On perd l'alimentation auxiliaire 4) On ne démarre pas le premier diesel 5) On ne démarre pas le second diesel 6) On ne démarre pas le groupe d'ultime secours
7) On n'a pas ou on n'arrive pas à démarrer le diesel d'ultime secours 8) On n'obtient jamais d'aide extérieure
Que se passe-t-il ?
Notons quand même que niveau probabilité, on est déjà très, très bas. Parce que l'enchaînement d'une telle série de défaillance, même dans des circonstances exceptionnelles (type séisme, encore une fois), il est quand même hautement improbable.
Mais vu que la sûreté, en France, c'est la prévention ET la mitigation (se mettre à l'abri des risques ET envisager qu'on se les prenne dans la face quand même), étudions le scénario d'une perte longue et totale d'électricité. Qu'arriverait-il à notre réacteur ?
Je garde bien en tête que je dois vous parler prochainement de #déchetsnucléaires, mais je me suis dit qu'un petit préliminaire de vocabulaire s'imposait.
À l'origine de ce thread, quelque chose que j'avais lu il y a quelques temps : quelqu'un qui avait peur que les rayonnements qui sortiraient de Cigéo irradient tout le monde aux alentours.
Et là, j'ai bien du admettre que la radioactivité est un concept pour certains fort obscur.
La radioactivité, c'est le phénomène de transformation d'un atome en un autre atome, qu'on appelle décroissance, qui s'accompagne, pour des raisons de conservation de la masse et de l'énergie (rien ne se perd, rien ne se créé, tout ça tout ça ) d'une émission d'une particule.
Bon, aux dernières nouvelles, j'avais laissé un REP sans alimentation externe, sans alimentation interne, sans aide extérieure possible, au bord de l'accident #nucléaire.
Alors, d'abord, une petite déclaration de... Non-intérêt :p
Je ne travaille pas dans le domaine des accidents graves de réacteurs.
Donc je me base sur des souvenirs de cours, essentiellement ^^
Il est par conséquent tout à fait possible que je fasse quelques erreurs, ou quelques omissions ou hypothèses un peu fortes. Mais je ne doute pas qu'on me le fera remarquer, donc il y aura peut-être des errata en fin de thread ;)
L'éolien, c'est un moyen de production d'électricité intermittent. Oui, je malmène sans finesse de pauvres portes ouvertes, mais certains n'en sont pas encore conscient.
On m'y répondit a plusieurs reprises que je raisonnais sur le système fermé franco-français. Et que la transition énergétique, il ne fallait pas la voir comme ça, mais a l'échelle d'un immense maillage du réseau électrique à travers toute l'Europe.
« De nouveaux EPR, mais c'est de la folie, on n'a même pas terminé celui de Flamanville et il coûte super cher avec beaucoup de retard ! »
Okay. Du coup, admettons qu'il faille de nouveaux réacteurs nucléaires (parce qu'on se passera pas de tout notre parc quand il sera usé).
Dans ce cas, on a, en gros, deux options, avec de petites nuances autour de chacune :
1) On attend le dernier moment pour lancer de nouveaux chantiers d'EPR, 10 ans après la fin du premier, en laissant les gens oublier leurs erreurs et les personnes compétents partir ailleurs.