Je garde bien en tête que je dois vous parler prochainement de #déchetsnucléaires, mais je me suis dit qu'un petit préliminaire de vocabulaire s'imposait.
À l'origine de ce thread, quelque chose que j'avais lu il y a quelques temps : quelqu'un qui avait peur que les rayonnements qui sortiraient de Cigéo irradient tout le monde aux alentours.
Et là, j'ai bien du admettre que la radioactivité est un concept pour certains fort obscur.
La radioactivité, c'est le phénomène de transformation d'un atome en un autre atome, qu'on appelle décroissance, qui s'accompagne, pour des raisons de conservation de la masse et de l'énergie (rien ne se perd, rien ne se créé, tout ça tout ça ) d'une émission d'une particule.
Une particule de matière, et, parfois aussi, d'un photon (une onde électromagnétique, de la lumière, donc) très haut en énergie : on parle là de rayons X (parfois) ou Gamma (souvent).
Il y a aussi des cas où des atomes « excités » (chargés en énergie) se désexcitent en émettant juste un photon gamma. On parle aussi de radioactivité, même s'il n'y a pas de changement de l'atome en un autre.
D'ailleurs, on est d'accord sur le fait que photon gamma, rayon gamma, même affaire ? Dualité onde/corpuscule, ça va ? Au cas où :
Du coup, la radioactivité, ce sont des atomes radioactifs, donc de la matière, qui émet des rayonnements ou des particules.
On a bien deux acteurs en jeu, c'est bon ? L'émetteur (l'atome radioactif) et l'émission (les particules ou rayons). Bien avoir ça en tête.
Bon, et le souci de la radioactivité, c'est que les particules/ondes émises ont tendance à causer des lésions aux tissus vivant, et, en cas d'exposition trop importante, engendrer des mutations qui peuvent, dans certains cas, aboutir au développement de cancers.
Dans des cas d'expositions encore plus intenses, on ne parle non plus de possibilité de conduire à un cancer (effet stochastique) mais de dommages immédiats : brûlures d'abord, et autres joyeusetés plus ou moins affreuses ensuite (effet déterministe).
On reviendra sur les conséquences. Revenons d'abord sur le phénomène : la radioactivité émet des photons gamma, certes, et... Des particules solides ?
Yep. De trois types.
La radioactivité alpha, pour commencer : ce qui est émis, c'est un noyau d'atome d'hélium 4 : un amas de deux neutrons, deux protons.
C'est de la grosse particule, très massive, donc capable de causer des dommages considérables aux tissus humains.
L'avantage, c'est que la particule étant grosse et chargée électriquement (deux protons -> deux charges positives), elle est très facile à arrêter. Une feuille de papier la stoppe net. Les peaux mortes de l'épiderme, idem. Sans dommage.
Là où la radioactivité alpha devient problématique, c'est si elle est émise directement à l'intérieur du corps. Il faut donc avoir ingéré ou inhalé des particules qui emettent des rayonnements alpha, d'où l'importance de bien différencier émetteur/émission.
En cas d'absorption de particules radioactives, on parle alors de contamination interne.
Terriblement nocive avec les émetteurs alpha, alors que l'exposition externe (le fait de recevoir seulement des rayonnements depuis l'extérieur) est à peu près inoffensive.
Nuançons : les alpha, en externe, ça peut être dangereux en cas d'exposition prolongée. Par exemple des dépôts de poussière radioactive sur la peau, sur les mains, etc, mais si comme la plupart des gens, vous vous lavez, l'exposition ne sera pas très prolongée.
Dans ce cas, on parle de contamination aussi, mais externe, cette fois.
Là où ça devient drôle, c'est si vous portez des bijoux contenant des émetteurs alpha, par exemple.
L'uranium et le thorium sont des minéraux naturels qui sont, ça tombe bien, des émetteurs alpha !
Méfiez vous des pierres que vous achetez. Rappelez vous que naturel n'est pas synonyme de sain 😉
Bref, après cette parenthèse sur les différents modes d'exposition que sont l'exposition externe, la contamination externe, et la contamination interne, revenons à nos rayons.
Après les rayons alpha, parlons des beta - (prononcer « beta moins »). Ceux-là sont plus petits : ce sont des électrons qui sont émis. Plus pénétrants, du coup, mais toujours chargés électriquement, donc facile à arrêter par quelque chose sensible aux charges électriques.
L'exemple type, c'est la feuille d'aluminium, qui arrête net un flux de particules beta -.
Ainsi, pour ce qui est des émetteurs alpha et beta, pour peu qu'ils soient confinés, ils sont inoffensifs puisque ce qui confinera la matière, que ce soit une cuve, un conteneur, une gaine... Arrêtera aussi les rayonnements. Doublé gagnant.
Oh, et j'oublie. Si l'on parle de beta MOINS, c'est parce qu'il y a aussi des beta PLUS. Rares, mais ils existent. Là, ce sont des posit(r)ons, ou anti-électrons, qui sont émis.
On côtoie le sujet de l'antimatière, là ;)
Bon, la radioactivité beta+, c'est encore plus facile à arrêter. Dès qu'un positron rencontre un électron, les deux s'annihilent, donc ça porte pas bien loin, même à l'air libre.
Par contre, en s'annihilant, ils libèrent un photon gamma.
Et donc on y revient, nos rayons gamma. En général, ils accompagnent la décroissance des atomes, hein, ils sont assez rarement le fruit d'une annihilation, quand on parle de radioactivité dans le nucléaire.
Ce sont des photons. Donc en terme de taille ou masse, c'est nada. Et ce sont des particules neutres électriquement. Donc là, pour les arrêter... Ben ça se complique.
La bonne nouvelle, c'est que si on peine à les arrêter avec de la matière, on peine aussi à les arrêter avec notre organisme, ils nous traversent donc en partie sans causer de dommage.
Mais une partie est bien absorbée par les tissus, avec les problèmes que l'on connaît.
Donc en général, pour atténuer (et non plus stopper) un flux de rayons gamma, ce ne sont pas des feuilles de papier ou d'aluminium que l'on va solliciter, mais des centimètres de plomb, des décimètres de béton lourd, ou des mètres d'eau. C'est un poil plus galère.
Et la transition est toute trouvée pour embrayer sur la radioprotection : pour se protéger des rayonnements, dans le nucléaire, on a trois leviers.
L'un d'entre eux, ce sont les écrans, ce qu'on intercale entre l'émetteur et nous. Comme le plomb ou le béton que je mentionnais.
Un autre levier est... La distance. Et oui : plus on est loin de la source, plus l'intensité de ce qu'on recevra sera faible. D'une part à cause de l'absorption par le milieu ambiant, mais, surtout, à cause de la dispersion.
Parce qu'imaginez que la source radioactive soit une petite bille, qui émette des radiations dans toutes les directions. Si l'on imagine une surface d'un centimètre carré à proximité de la bille, énormément de rayons vont traverser cette surface.
Alors qu'à bonne distance, les rayons seront beaucoup plus éloignés les uns des autres, et donc un moindre nombre traverserait cette surface !
Et le troisième levier... Le temps. Moins on s'expose longtemps, mieux c'est. Basique, simple, évident.
Ces trois leviers visent à respecter les trois grands principes de radioprotection. Ceux-ci sont des piliers à garder en tête lors de toute possible exposition à des substances radioactives ou des radiations.
Dans l'industrie nucléaire ou non, dans l'aviation, ou la médecine !
Le premier est la justification.
On n'expose pas d'individus sans justifier du bien-fondé de cette exposition. Impératif sanitaire, économique incontournable, etc.
Si une exposition est évitable, elle est évitée.
Faire une radiographie de sa main juste pour reproduire celle d'Anna Röntgen, pour la beauté de l'Histoire, ce serait un viol de ce principe de justification.
Bien entendu, les cas litigieux abondent, ne serait-ce que l'aviation commerciale...
Stricto sensu, prendre l'avion et s'exposer aux rayonnements cosmiques alors que l'on pourrait prendre le train, c'est déjà litigieux vis-à-vis de ce principe. Donc la justification est à étudier avec de la jugeote, pas de manière dogmatique et infléchissable ;)
Deuxième principe, la limitation.
Même si une exposition semble justifiée, elle doit respecter certaines limites.
1 mSv (un jour je ferai un thread sur ces unités aussi) d'exposition artificielle non-médicale pour le public.
6 mSv pour les travailleurs du nucléaire (et autres) catégorisés B.
20 mSv pour la catégorie A.
Le tout, calculé à chaque fois sur une année glissante.
Pour vous donner des références d'ordres de grandeur, tout de même, l'exposition moyenne des français à la radioactivité, toutes origines confondues, est de 4,5 mSv/an, avec une énorme variabilité, comme le présente l'IRSN :
Et la valeur à laquelle on sait que le risque de cancer est accru (en-dessous, on ne sait pas trop, ça ne veut pas dire que le risque existe ou non), c'est 100 mSv.
Les dommages déterministes, ils se manifestent à l'approche de 1000 mSv.
Ah, oui, et ça se lit « millisieverts », au fait 😅
C'est la mesure de la dose de radioactivité, qui intègre le type de rayonnement, le mode d'exposition, mais aussi des paramètres biochimiques comme le temps de séjour de la contamination dans l'organisme avant évacuation.
Et le troisième principe de la radioprotection, c'est l'optimisation.
Si l'on a justifié l'exposition, qu'on respecte les limites légales, on doit QUAND MÊME montrer que l'on fait au mieux pour réduire l'exposition, dans la mesure du raisonnable.
On parle de mettre en œuvre une démarche ALARA : « As Low As Reasonably Achievable ».
On envisage différents moyens de réduire l'exposition en atténuant la quantité de radiations émises, ou en jouant sur les paramètres temps, distance, et écran, pour optimiser la dose reçue.
Et avec ce principe qui impose d'aller au-delà du minimum légal, je vois, personnellement, un bon exemple du concept de « défense en profondeur » au cœur de la sûreté nucléaire, dont la radioprotection est une facette.
Maintenant, vous connaissez les différents types de radiations, les différentes façon d'y être exposé, et de s'en protéger.
Et vous avez les billes pour comprendre que les radiations émises dans les sites nucléaires (centrales, usines, stockage...)...
...ne peuvent pas vous atteindre si vous ne vous baladez pas dans les zones à risque de l'installation nucléaire.
En revanche, le véritable risque est la dispersion dans votre environnement de substances radioactives.
Et c'est là l'un des gros enjeux de la sûreté.
Et j'ai là un bon point d'entrée pour un thread sur les fonctions et principe de sûreté, qui viendra... Un jour.
Bon, aux dernières nouvelles, j'avais laissé un REP sans alimentation externe, sans alimentation interne, sans aide extérieure possible, au bord de l'accident #nucléaire.
Alors, d'abord, une petite déclaration de... Non-intérêt :p
Je ne travaille pas dans le domaine des accidents graves de réacteurs.
Donc je me base sur des souvenirs de cours, essentiellement ^^
Il est par conséquent tout à fait possible que je fasse quelques erreurs, ou quelques omissions ou hypothèses un peu fortes. Mais je ne doute pas qu'on me le fera remarquer, donc il y aura peut-être des errata en fin de thread ;)
Un sujet majeur depuis #Fukushima : et si on perdait toutes les alimentations électriques d'un réacteur ? 😱
Un disclaimer préalable : je vais me focaliser sur les réacteurs français, de type « Réacteur à Eau Pressurisée » (REP). Ce que je vais dire ne sera que très partiellement applicable à d'autres réacteurs, notamment les REB de Fukushima.
Pour commencer, à quoi ça ressemble, un REP, et comment ça fonctionne ?
Je pique à @Framatome_ cet excellent visuel :
L'éolien, c'est un moyen de production d'électricité intermittent. Oui, je malmène sans finesse de pauvres portes ouvertes, mais certains n'en sont pas encore conscient.
On m'y répondit a plusieurs reprises que je raisonnais sur le système fermé franco-français. Et que la transition énergétique, il ne fallait pas la voir comme ça, mais a l'échelle d'un immense maillage du réseau électrique à travers toute l'Europe.
« De nouveaux EPR, mais c'est de la folie, on n'a même pas terminé celui de Flamanville et il coûte super cher avec beaucoup de retard ! »
Okay. Du coup, admettons qu'il faille de nouveaux réacteurs nucléaires (parce qu'on se passera pas de tout notre parc quand il sera usé).
Dans ce cas, on a, en gros, deux options, avec de petites nuances autour de chacune :
1) On attend le dernier moment pour lancer de nouveaux chantiers d'EPR, 10 ans après la fin du premier, en laissant les gens oublier leurs erreurs et les personnes compétents partir ailleurs.